dimanche 12 juillet 2009

La (petite) vie de Marcel -47

Marcel s'envoie en l'air à Venise.
Marcel devait tenir un journal, au jour le jour, concernant ses vacances à Venise. Il l'a fait, mais en se relisant il n'était plus d'accord, un jour après. Alors comment faire? Celà se terminait le dimanche 18 juin, avec : "Je suis définitivement réconcilié avec Venise et les Vénitiens". Ah oui! Quelle journée, ce dimanche! Dans le train du retour, jeudi 22, il s'est mis à chialer comme ça ne lui était pas arrivé depuis belle lurette! Oh, ça n'a pas duré bien longtemps, mais quelle crise! Claudine a préféré s'eclipser du compartiment. La veille, mercredi soir, il avait revu Franco, son amant vénitien, et ils avaient fait l'amour dans l'herbe et les orties, près d'une église avec cloître qu'il ne connaissait pas (Santa Elena) et Franco lui avait redit les mots qu'il avait le plus entendu dans sa bouche : "Aaaah! Maaarcel! Maaarcel! Merveilleux!".
Pourtant, Marcel ne souhaitait pas avoir d'amant italien, mais Jehan-Bernard lui ayant fait d'absurdes recommandations sur lettre avant de partir, et le destin s'en étant mêlé, il avait décidé de céder à la tentation qu'on lui offrait.
D'abord, il faut dire, pour être franc, qu'il avait trouvé les mâles vénitiens très orgueilleux, très fiers de leurs fesses et de leur queue. Le courant de sympathie ne s'est pas fait tout de suite. En fait, il n'était pas très à son aise. Plairait-il ou ne plairait-il pas à ces mecs qui semblaient... Plus tard, ce fameux dimanche 18, place Saint Marc, lorsqu'il s'ouvrit à son deuxième amant italien, Francesco, et que devant son ami un peu "pazza", il avait eu l'incronguité de s'écrier : "J'ai l'impression que les italiens aiment beaucoup trop les femmes!". Regards et fou-rires des deux autres. Francesco se tourna vers lui et lui dit : "Ecoute. Une fois je voulais faire l'amour avec un garçon. D'accord, me dit-il, je vais d'abord conduire ma fiancée à la casa, ensuite je vais revenir faire l'amour avec toi". Et son copain d'ajouter : "A minuit tous les vénitiens reviennent place Saint Marc, sans leur fiancée, et ils font alors ce qui leur plaît". Et il entraîna Marcel voir un escalier, du côté du Rialto, et en profita pour lui peloter les fesses dans les ruelles obscures.
C'est lundi 5 que Franco le regarda pour la première fois. Et quel regard! Cheveux châtains, yeux bleus. Dans son kiosque à journaux, Fondamente Nuove. Regard franc, direct, rempli de désir. Marcel était avec Claudine. Ils revenaient des iles. Mais une bonne semaine passera avant que Marcel se décide à aller lui parler. Le samedi 17, sous la Torre dell'Orlogio, un autre regard bleu le croisa, soutint le sien, revint à la charge. Avec une franche naïveté qui le séduisit. Entre temps, il avait fait l'amour avec Franco. Claudine n'était pas là le jour de cette seconde rencontre, elle faisait les magasins. L'homme était grand, front dégarni, cheveux gris-blancs légèrement dans le cou, veste de daim, jean's. Une chaleur humaine considérable. Ils allèrent se promener jusqu'à La Fenice, virent les gens sortir (concert symphonique) et puis ils errèrent dans les rues. Il lut dans les yeux de Francesco un désir plus calme que celui de Franco. Etreintes sous les ponts. Muscles des cuisses tendus. Regards comme éblouis.
Lundi 12, premier jour de pluie. Marrant de voir les vénitiens en chemisette avec leurs pépins de couleur. Première lettre de Jehan-Bernard. Marcel et Claudine vont à Murano. En revenant, l'homme du kiosque à journaux le fixe de nouveau. Il va le voir le lendemin, vers 18h, et met un bon quart d'heure avant de se décider à lui adresser la parole. Pourquoi? Il n'y a aucune ambiguité dans l'attitude de l'homme : il feuillette distraitement un illustré en essayant de cacher la boursouflure de sa braguette. Il voudrait le voir le soir-même, mais Marcel remet leur rendez-vous au lendemain. "Aaaah! Maaarcel! Maaarcel! Merveilleux!". Un coin désert, sur l'herbe. Quelques passants égarés. Franco insiste pour le revoir.
Dimanche 18. Défilé et journée historique. Le défilé n'est pas terrible, mais il y a beaucoup de monde. Marcel est en forme. Francesco arrive, lui demande de venir faire l'amour tout de suite chez lui. Il refuse car il a promis à Claudine d'aller la retrouver place Saint Marc pour visiter la basilique. Un ami de Francesco, Pietro, arrive, puis un autre, assez déluré, qui lui donne sa glace à sucer. Un ami de Pietro, poilu, s'arrête et lui dit qu'il est "bello". Marcel s'amuse, va retrouver Claudine. Dans le vaporetto, en revenant le soir de chez Francesco avec qui il a fait l'amour, il surprend le regard du conducteur qui le fixe longuement. Il pense se tromper, mais chaque fois qu'il pose les yeux sur lui, son regard n'en finit pas, et Marcel doit baisser les yeux le premier. Une fois à l'hôtel, Claudine se fout de lui lorsqu'il lui fait part de ses impressions.
Lundi 19. Un américain lui demande de venir coucher avec lui au Danieli. Mais Marcel refuse : il n'a pas envie de parler anglais, il est en Italie pour parler italien. Comme le mec est vexé, Marcel se paye le luxe de lui offrir un pot au Florian. L'autre jour, Franco lui a dit, en français : "Il pleut!" et il lui a répondu : "Non e vero. E un sogno di te". Franco a éclaté de rire, a répété sa phrase et l'a entraîné dans un coin pour l'embrasser à pleine bouche.
Thomas Schippers dirige "La Traviata" à La Fenice. Fougue et passion. Mais, comme dirait Jacques Bourgeois, La Traviata n'est pas un opéra de chef d'orchestre. Beverly Sills rayonne. Son intelligence scénique et musicale font oublier, d'après Claudine, une voix un peu trop légère pour le rôle. Une autre américaine, Beverly Wolf, se fait remarquer dans le "Requiem", dirigé à nouveau par Schippers. Derrière Marcel, soudain, un italien le regarde fixement. Yeux bleus. C'est Franco! Il est avec sa femme. Claudine n'arrête pas de faire des signes bizarres.
"Andiam" dit Franco. Ils vont au cinéma de l'Arsenal. Un cinéma affreux. Du porno et des sièges abîmés. "On ne peut pas se taper tous les jours La Fenice" se dit Marcel, alors que son amant a ouvert sa braguette et sorti son engin. Le dernier rendez-vous sera la veille de son départ. Ils n'arriveront pas à trouver un coin tranquille. A chaque fois Franco se redressera, le pantalon baissé, et criera, dans la nuit chaude "Assassino!" à quelque passant isolé qui reluque leurs ébats.
Le train arrive à Milan, dans la chaleur étouffante de l'après-midi. C'est fini. Marcel est calme, vide, déjà bouffé par les souvenirs. Pendant que Claudine achète des magazines, il va dans les toilettes de la gare. Un italien se met tranquillement à côté de lui et branle sa queue dressée en le regardant. Obsédés, les italiens?

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