mercredi 8 juillet 2009

La (petite) vie de Marcel -44

Marcel commente le dernier film d'Ingmar Bergman.
Dimanche 23 avril.
Semaine calme, dans l'ensemble. Marcel s'est couché tous les soirs à 21h. Hier, samedi, il a travaillé sur son récit "La Mort du Paysage" au magnétophone.
Il sort le soir de ce dimanche. Pas de parisien de passage. Quel ennui! A part les voyous et les anciens copains, il n'y a rien à foutre. Mardi soir, à la gare, Jacques s'est fait casser la figure dans les tasses. Ce soir, un habitué lui fait part, lui aussi, de la façon dont deux mecs l'ont volé. Il se trouve que ces deux mecs, Marcel les connaît parfaitement. Ils viennent d'ailleurs lui dire bonjour, un peu plus tard. Rue du Baillage, il tombe sur une grosse tante qui l'emmène chez elle boire un scotch. Quel cinéma! Lumières tamisées, collection de disques rétros, et chemise noire largement ouverte sur sa poitrine velue qui contraste tellement avec sa figure poupine et poudrée. Marcel part à 1h30, refusant sa proposition de rester coucher avec lui. Il retourne rue du Baillage à la recherche d'un habitué pour le remonter chez lui. Il le trouve enfin à 2h, à la gare où il est retourné, et c'est le type en Mercedes bleu marine qui lui tournait autour l'autre jour. Il le laisse devant la grille et va se coucher.
Depuis vendredi soir Martin est chez Rolande. Dans sa lettre, Marcel lui avait demandé de ne pas venir le voir, et Martin obéira.
Mais ce dimanche après-midi, il a profité de la visite de Claudine pour aller avec elle voir le dernier Bergman : "Le lien" (The Touch). Rentré chez lui, il en a fait l'analyse suivante :
Une femme, la trentaine, mariée, deux gosses, est heureuse dans sa maison, avec un magnifique jardin. Elle est vraiment très heureuse, celà se voit, celà s'entend. Arrive un type complexé, timide, barbu, égoïste, qui la désire. Pourquoi? Il n'en sait certainement rien lui-même. Toujours est-il qu'il lui avoue qu'il l'aime, presque devant son mari. Elle est émue, puis celà semble l'amuser, la distraire. Elle fait son ménage, sa lessive, et va se donner à lui. S'aperçoit-il qu'elle ne l'aime pas plus qu'il ne l'aime? Il la brutalise pour affirmer son désir. Elle retourne à son mari, à la tendresse de celui-ci, tout en continuant à se faire bousculer par son amant. Ce dernier, qui s'est pris au jeu, voudrait l'avoir tout à lui. Il désire non seulement la bousculer mais que, pour sa satisfaction à lui, elle bouscule sa propre vie de bourgeoise bien installée. Elle s'y refuse, espérant un instant que les deux hommes s'entendront et sauront se la partager sans faire d'histoire. C'est compter sans l'égoïsme de chacun. Le mari, qui en a ras-le-bol, va rendre visite à l'amant : "C'est à ma femme de décider : vous ou moi". Elle est bien embêtée. Elle est enceinte, et son amant la plaque. Elle s'aperçoit, vieillie, fatiguée, qu'elle a prêté le flanc au scandale. Trop tard. Elle a dit "amen" à un amant grossier et a perdu de sa vitalité au bénéfice du doute. Il revient, la réclame. Elle refuse. De toute façon, elle est foutue. Rien ne sera plus comme avant. Le remord et la tristesse la guettent définitivement.
Bergman traite tout celà avec maîtrise, même s'il semble y avoir des flottements dans sa mise en scène. C'est l'histoire d'un fait divers, d'une tromperie qui ouvre sur du vide, le vide hallucinant de la mort. La scène de la réception est extraordinaire à ce point de vue-là : la femme entourée, satisfaite d'avoir fait plaisir à son mari et à ses hôtes, qui éprouve brusquement le besoin d'aller s'avilir dans les bras de son amant, dans une chambre sordide qu'elle ne pense même plus à arranger comme elle en avait eu l'idée au tout début de leur liaison.
Ce n'est pas un film sur l'amour, c'est un film sur la destruction du couple.
Lundi 24.
Rolande arrive au bureau, livide, fourbue par son week-end passé avec Martin. Marcel se garde bien de lui poser des questions.
La soirée s'annonce on-ne-peut-plus-bizarroïde. Rue du Baillage, un homme tourne en rond pendant une heure sans s'arrêter (ou si loin, ou si mal, ou si peu, que ça n'en vaut pas la peine) tandis que deux tapineuses se foutent une trempe devant leurs copines, leurs mecs et leurs clients (très amusés, ces derniers) et Marcel se retrouve à 23h seul à la gare, sans lumières, sans taxis, et complétement déboussolé, à tel point que lorsque Jacques s'arrête pour lui proposer de le raccompagner, il ne fait même pas attention à lui et le laisse repartir... A 23h30, commençant vraiment à avoir la trouille, il se jette sur la seule voiture qui veut bien s'arrêter, et aborde le conducteur. Il s'appelle Pierre.
Une heure de discussion, rue des Sapins, assis sur le lit, sans se toucher. Ils s'évitent physiquement. Marcel joue à : qui va se lancer le premier? Et pourtant il a une envie terrible de lui prendre la main. Pierre n'arrête pas de lui dire qu'il doit rentrer, qu'il va rentrer. La Caballé chante "Depuis le jour où je me suis donnée....". Il est une heure du matin quand Pierre l'embrasse, enfin. Son regard, aigu, hautain, devient soudain fragile. Il se brise en deux, il est ému. Il s'écroule. Marcel le rassure, lui promet d'être doux, conciliant, amoureux peut-être, en tout cas romantique comme il se doit quand on sait que le monde est cruel, et qu'en se donnant quelques instants il faut savoir se reprendre la minute suivante.

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