mercredi 10 juin 2009

La (petite) vie de Marcel -27

Marcel combat le choléra.
Jeudi 22 juillet.
La menace du choléra en Espagne fait défiler les gens aux vaccinations. Rolande n'étant pas là, Marcel doit garder la tête froide au milieu des infirmières qui s'agitent. En définitive, tout se passe bien.
Il met un mot sous la porte de Jean-Michel. Va-t-il mordre à l'hameçon?
Vendredi 23.
C'est la deuxième nuit qu'il se réveille avec des douleurs dans le ventre. Ce doit être la faute à la caféine.
Il a fait des rêves idiots, voisins du cauchemar.
Au bureau, coups de téléphone, sans arrêt : choléra, choléra. Tout celà à cause des déclarations optimistes faites à la télévision. Les gens rappliquent, croyant que les infirmières disposent de vaccins. Or, elles n'en ont pas. Elles en attendent.
Marcel a lu "L'enfant de choeur" d'Etiemble. Il y voit la confirmation du manque d'imagination dans les traverses de l'érotisme. André apaise sa sensualité avec ce qu'il a sous la main : branlage, copains d'école, puis sa mère. Marcel se rappelle son adolescence, à Tours, lorsqu'il sortait le soir pour rencontrer des inconnus qui lui feraient oublier l'ambiance familiale (frangin, frangine, beau-frère, jusqu'à sa grand-mère impotente).
A 14h45 Jean-Michel lui téléphone. Il est d'accord pour le voir, lundi soir. A ses risques et périls.
Mme B., l'infirmière en chef, court d'un bureau à l'autre, répond au téléphone, aux clients, fait des grimaces, s'agite, hilare, les mains sur les hanches. Elle est déchaînée. Tout ça, évidemment, à cause du choléra. Un chauffeur est parti chercher des vaccins à Paris. Il a intérêt à en ramener car lundi il y aura plus de 200 personnes à attendre devant la porte.
A 22h30, rue du Baillage, Marcel aborde un type, planqué dans l'ombre. Le physique est bon, la tête rappelle un peu David, mais en plus cynique. Marcel lui demande s'il a un endroit où aller, il lui répond : "Oui, ma Cadillac". C'est une vulgaire 2CV toute dégueulasse. Marcel refuse. L'homme est pressé. "Sans blague? Ta femme t'attend?". Ca le fait rire. Non seulement sa femme, mais ses deux gosses, et il embrasse Marcel à pleine bouche sur le trottoir. Les présentations étant faites, Marcel emmène ce salaud chez lui qui, à peine arrivé dans la chambre, lui demande de le sucer. Après avoir joui, pressé de rentrer chez lui, il va partir, tenant son froc, hésite, branle Marcel. Comme il bande encore, celui-ci lui dit "Tu ne vas pas partir comme ça!". Le mec rigole et se jette sur lui. "Vas-y! crie-t-il, vas-y! C'est bon!".
Marcel le raccompagne, à poil, dans le couloir. Il est minuit. Il s'endort, claqué.
Samedi 24.
Il décide d'aller à Paris et prend le train de 10h, bien décidé à venger l'honneur de Claudine. Il jette son dévolu sur le Printemps et son rayon de disques.
Lundi 26.
Vaccinations. Le vaccin est là. Beaucoup de monde. Marcel a pourtant le temps de remarquer un Espagnol, la chemise entrouverte sur sa poitrine bronzée et poilue, l'air réservé, avec une sorte de brutalité dans le regard. Comme il n'a pas apporté de flacon d'urine il lui donne un récipient et, quand il le lui rend, il lui sourit. L'espagnol répond à son sourire.
Vendredi 30, quand il revient pour la deuxième piqûre, il va directement voir Marcel. Ils se sourient, il prend son tour d'attente. Et pendant que Marcel discute avec Mme D. et Babeth, il vient lui parler : il doit aller chercher de l'argent à sa banque, à Saint Etienne du Rouvray. Peut-il y aller? Oui, mais faites vite! Merci. Il part (16h30), Marcel met son carnet international de côté, et commence à l'attendre, et à avoir peur. A 17h30, il n'y a presque plus personne. L'infirmière en chef parle de fermer, le docteur R., un petit tortilleur du cul qui fait des manières, de partir. Marcel supplie tout le monde. A 17h50 l'espagnol arrive enfin, en courant. Marcel lui dit, tout ému : "Vous m'avez fait peur". Il se justifie avec un faible sourire mouillé de sueur : "Je ne fais que ça : courir!". Il va se faire piquer et Marcel l'attend dehors. Il passe devant lui, le regarde, lui sourit : "Merci" lui dit-il. Marcel cherche ses mots en espagnol mais s'étrangle. Il se contente d'un "Bonsoir" que l'autre lui retourne avant de s'enfoncer dans la moiteur de la rue.
Marcel a pensé à lui tout le dimanche (1er août), ainsi qu'à David, en écoutant un disque de Bach. Il se sentait doux, et tendre, et mélancolique, et éperdu d'amour. Pour des ombres, des chimères, des images et des sons.
Pour en revenir au lundi 26, il est allé chez Jean-Michel, avec une heure et demie de retard. Celui-ci était, lui a-t-il avoué, en train de le maudire, et prêt à aller rue du Baillage pour l'étrangler. Mais Marcel n'était pas rue du Baillage, il était chez lui à se reposer de cette journée anti-cholérique. C'est ce qu'il lui explique, sans lui mentionner son coup de coeur pour l'espagnol et, à 22h30, avant de passer au lit, il a une envie folle de foutre le camp, de se retrouver seul dans sa piaule à repenser au regard de cet homme, à son sourire, à sa poitrine velue entrevue... Pourtant, après quelques préparatifs et pas mal de verres de vin, il est obligé de reconnaître que Jean-Michel sait très bien s'y prendre, et son désir balaye tous ses scrupules et ses indécisions. Il reste dans son lit, et il n'en est pas plus malheureux pour celà.
Samedi 31, à minuit, il est allé voir le beau film de Ken Russell "Women in love", dans un cinéma habitué à passer des films de cul, où la clientèle manifestait hautement sa déception lorsque le dialogue venait interrompre l'âpre volupté qu'elle prenait aux scènes d'amour.
Par contre, il n'a pas réussi à s'intéresser au livre de Patricia Highsmith "Ce mal étrange". Au bout de la 50ème page il était fixé sur le sort réservé au héros : devenir fou ou se suicider. Le ressort dramatique ne jouant plus, le facteur psychologique s'avérait inconsistant : une femme, Anabelle, sans volonté, sans caractère, comme les autres personnages. Un échec complet.

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