lundi 29 septembre 2008

Danielle et Laurent (10)

Détestant les femmes, Julian préférait la compagnie des hommes : les hommes mariés pour le sexe, les pédérastes pour le bavardage. La première fois qu'il me conduisit à la plage, il s'installa à côté d'un couple de marseillais. Je connaissais bien ces endroits pour les fréquenter de temps en temps : les buissons pour la drague, la plage pour le voyeurisme, et la mer pour le bain. Au bout d'une heure de conversation les deux marseillais m'apparurent comme totalement inconséquents. La primauté du langage des folles s'apparente à une sorte de mondanité creuse entrecoupée de criaillements vulgaires. Les onomatopées ridicules pouvaient être hilarantes dans un certain contexe. A la plage où les corps se livraient à un double combat : je te vois et je me fais voir, ces exclamations de salon se révèlaient incohérentes. L'activité des deux marseillais tenait de la folie suprème : s'asseoir, se lever, reluquer, papoter, s'enduire de crème, se baigner, s'enduire de crème, reluquer, aller draguer, se coucher, se lever, se baigner, s'enduire de crème... Leurs multiples pérégrinations, éprouvantes, me laissaient sur le cul, essoufflé! Je restais coi, la gorge sèche, les yeux brûlés, les tympans épuisés par leurs jérémiades incessantes. Le plus gros, surtout, me révulsait par sa naïveté confondante. Il se tenait debout au-dessus de moi, débitant ses potins en souriant tout en se tartouillant de crème solaire sur toutes les parties de son corps. Ses formes opulentes prenaient l'aspect, au bout de quelques heures, d'un immonde monceau d'huile. Je rongeais mon frein en me disant que demain serait un autre jour, mais cette calvitie intellectuelle me hérissait le poil. J'avais beau me concentrer sur les effets nocifs d'une crème solaire sur une peau trop grasse, je ne parvenais pas à sourire! Mauvais genre, trop de soleil, hypertension, je m'irritais de leur moindre renue-ménage.
Le plus maigre, pourtant, présentait quelques éléments positifs : ironie à fleur de peau, besoins répétés d'aller se satisfaire dans les buissons qui me le rendaient supportable. Mais son copain obèse me foutait le cafard. Le lendemain je fis part de mon irritation à mon ami et je résolus de faire chambre à part : je prétextai la brûlure du sable pour me rapprocher de la mer, m'éloignant par la même occasion de leur compagnie perturbante. Il m'importait peu de passer pour bégueule, mauvais coucheur ou tête de lard, je me refusais à en supporter davantage. Julian vint me voir plusieurs fois, pensant sans doute que je m'ennuyais ou tout simplement pour me rafraîchir de potins venimeux. Avant de partir, toutefois, je me joignis à eux et j'eus l'indulgence d'écouter la dernière aventure du plus gros des invertis, qui me la raconta avec force détails, mimiques et roulements des yeux. "Figure-toi que hier soir, lorsque nous sommes repartis, nous avons rencontré un superbe mâle qui se bronzait à poil assis sur un tronc d'arbre. Un véritable monstre, je te dis pas. La taille de son sexe, je n'ai pas besoin de te faire un dessin. Je me suis approché et je lui ai demandé s'il ne voulait pas que je le soulage un peu, vu qu'il avait certainement un problème de ce côté-là. Une telle monstruosité, je t'assure, mon Dieu, je n'aurais jamais cru que des choses pareilles puissent exister! Eh bien tu me croiras si tu veux, mais il a refusé que je lui vienne en aide!". Je le croyais aisément, vue l'attitude gloutonne et particulièrement obscène dont son visage simulait le désir. "Je crois bien qu'il n'aimait pas les pédés" finit-il par dire. "Je crois plutôt, pensai-je, qu'il ne supportait pas les grosses folles".

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