jeudi 2 octobre 2008

Danielle et Laurent (11 et fin)

Les rapports de Laurent et de Danielle s'avérèrent très vite extrémement ambigus. Danielle n'aimait pas suffisamment Laurent pour se laisser embobiner. Comme la plupart des gens du Sud, il avait tendance à exagérer. Mais elle ne considérait pas celà comme un défaut. Elle aussi, de temps en temps, se mettait à broder, mais elle puisait ses sources dans son imagination, et non pas dans la réalité. Laurent, pour sa part, prenait la réalité brute, et la dramatisait. Il lui expliqua son incroyable nervosité. Pendant des années son boulot l'avait angoissé à mort. L'illusion de ne pas être à la hauteur, la hantise de se faire larguer, mais surtout l'orgueil, l'orgueil absolu, celui qui vous isole non seulement de vos collègues, mais aussi du monde entier. Il paniquait en se croyant chargé d'une mission, la mission céleste de sauver l'entreprise. Devenir le Messie redescendu sur terre, il se voulait incorruptible et inoubliable. Il se fit surtout détester, et dans l'incroyable innocence qui le forçait à se croire indispensable, il brûla toutes ses cartouches. Sa vie ne tint qu'à un fil, sa santé se déglingua en un rien de printemps. D'ulcère en ulcère, de hurlement en hurlement à se rouler par terre en maudissant sa foi et son intransigeance. Ne pouvant plus parler, ne pouvant plus crier, il devint sourd et tristement paumé. Solitaire comme jamais, recroquevillé par terre, la bouche ouverte sans émettre un seul son, il fut forcé de céder aux tentations opératoires et se retrouva amputé d'une corde vocale.

Danielle l'écoutait, perdue dans ses pensées. Elle se disait "Chacun porte sa croix, et la croix est obscène" mais elle ne partageait pas sa souffrance, elle l'admettait mais elle n'en vivait pas. Elle prenait un air détaché, compréhensif mais dénué d'émotion. Il parlait pour lui-même, dans le vide émotionnel de ses souffrances passées, physiques et morales. Il racontait un pan de mur de sa vie, une affiche collée à jamais sur son coeur. Il se savait diminué mais il luttait, corps à corps solitaire, avec son revolver dans sa poche de veste, pour se donner une raison de détester quelqu'un. Par amitié, elle se blottit contre lui, la tête un peu penchée, et le seconda comme elle put, lâchement. Elle pouvait se donner sans en perdre la tête, restant distante, attentionnée, attentive et consciente. Tout au fond de lui-même il la sut étrangère, elle ne disait pas les mots qu'il attendait, il en pâtit mais il ne s'avoua pas vaincu. Il pourrait peut-être la reconquérir à jamais, la retaper, en faire son idole. Elle se garda bien de le décourager. Presque seule, dans cette ville étrangère, elle ne pouvait pas s'offrir le luxe d'une nouvelle conquète. Le temps pressait, elle se devait de le garder.

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