lundi 22 septembre 2008

Danielle et Laurent (8)

Deux soirs de suite, Laurent ne vint pas voir Danielle. Elle se perdit en conjectures. Elle ramenait sur le tapis, quelquefois, des sentences éculées mais vivaces dans son souvenir, du genre "la vérité n'est jamais bonne à dire" - "mieux vaut feindre l'indifférence que jouer la passion" - "les ménages à trois ne font jamais bons ménages". Avec véhémence elle refusa de ressasser le cliché bidon de "l'aventure touristique". Rien ne la surprenait dans l'attitude de ce mâle égoïste, mais ce contretemps lui déplaisait. A défaut de l'aimer, Laurent la désirait. Il ne pouvait donc pas l'oublier. Le deuxième soir, ne l'ayant pas croisée dans les endroits publics de la résidence, les Granger vinrent lui rendre visite. Rémy s'installa à sa table, devant la bouteille entamée, et se servit un verre de vin pour accompagner la beuverie de Danielle. Isabelle les fixa d'un air sous-entendu avec un petit sourire ironique tandis que Sonia gambadait dans la pièce. "On te croyait morte" dit-elle. "Laurent n'est pas venu" répliqua Danielle. "Il n'est que 10 h, dit Rémy, il peut encore venir" et il remplit les verres. Sonia se mit à faire sa teigne. Elle voulait rentrer. Rémy parla de leur journée passée à Céret, dans une réserve animalière. "La gosse est crevée, dit-il, on ne va pas traîner". Il se leva et vida son verre. "Tu viendras dîner avec nous demain soir?" demanda Isabelle. Comme elle reculait vers la porte, Laurent entra. Il rit en les voyant. "Toi aussi tu viendras nous rejoindre?" lui dit-elle. "Tu apporteras le vin!" lui lança Danielle en se levant. Elle lui faisait face. Il regarda la bouteille à moitié vide sur la table et fronça les sourcils. "Bon, dit Isabelle, on y va. A bientôt, les petits". Rémy rigolait. Laurent s'assit. Danielle lui versa un verre de vin. Elle voulait le harceler mais il la regardait d'un air triste. "Tu n'es pas venu hier soir" dit-elle. "J'ai braqué deux arabes. Je n'étais pas en état de venir". Elle ne comprenait pas. "Ils ont voulu faucher ma bagnole" dit-il. "Tu n'as pas tiré, j'espère?". Il haussa les épaules "Non, bien sûr, je les ai seulement menacés". Il se leva "Viens, je n'ai pas mangé. On va aller sur le port". Elle aimait les lumières, sur le port, et tous ces bâteaux, un amoncellement de bâteaux. Avec le vent, elle les entendait tinter. Sans ses lunettes, elle voyait la nuit comme un rêve éveillé, suspendue à son bras. "Tu es saoule" dit-il avec dans la voix du reproche. Elle rit en silence. "Ce soir je te ferai l'amour" pensa-t-elle. Ils s'assirent à une table, dans un coin presque sombre. Deux chiens jouaient plus loin, sur un terre-plein en béton flanqué d'une vilaine sirène. Laurent embrassa la serveuse et ils échangèrent quelques mots. "Vous avez les yeux brillants" dit-elle à Danielle. "Elle est saoule" dit Laurent. "Ce n'est pas vrai!" protesta-t-elle.Lorsqu'ils rentrèrent, enlacés, le vent s'était remis à souffler, inclinant les palmiers. Elle l'embrassa devant le vigile qui retenait son chien. Laurent dit bonsoir au vigile et elle se mit à rire. En haut, tandis qu'elle se déshabillait, il lui dit "Je vais rester coucher". Elle le regarda. Elle ne sut pas s'il restait pour elle ou pour ne pas être seul. Il y avait dans sa voix une telle tristesse qu'elle le soupçonna de regretter d'avoir brandi son revolver, l'autre soir. Elle l'enlaça et commença à s'occuper de lui. Il se mit à palper son corps nu et bientôt le désir le submergea. Comme d'habitude elle eut hâte de le voir jouir pour se blottir dans ses bras et rester quelques minutes à le regarder dormir.

Aucun commentaire: