dimanche 7 septembre 2008

Danielle et Laurent (2)

Le vent s'était mis à souffler très fort, juste comme ils revenaient de Collioure. La tramontane. Elle sévissait depuis une semaine sur Saint Cyprien mais aujourd'hui elle s'accompagnait de tonnerre. Laurent avait décidé qu'il était trop tôt pour aller se coucher et qu'une promenade sur le port s'imposait. Mais la pluie, par rafales, se mit à tomber, balayant les palmiers. Plus question de courir sur le port. Danielle avait l'habitude. Au Havre, les tempêtes étaient fréquentes. Elle ne se précipitait pas sur la digue pour autant, comme les gens qui venaient voir se fracasser les vagues, mais elle aimait l'excitation de l'orage et la peur de mourir foudroyée. Le tonnerre, à Saint Cyprien, n'était pas bien méchant, et les éclairs se baladaient de droite à gauche, comme les essuie-glace d'une bagnole. Laurent la serrait de près en rigolant. Elle ne riait pas, comme un animal pris au piège, entre le chasseur et l'orage. Elle céderait au chasseur, bien entendu, même si la pluie commençait à refroidir son corps. Pourquoi appréhendait-elle tant de rester seule avec lui alors qu'il prenait manifestement du plaisir à lui faire l'amour? Cette nuit, il avait décidé de rester coucher avec elle. Pourquoi cette condescendance? Le vin, peut-être, ou alors ce chatouillement de l'orage, cet esprit machiste qui fait dire au mâle "Elle va avoir peur, toute seule dans le noir, il faut que je reste pour la protéger". Comme ils en avaient marre de baiser et dormir sur des lits jumeaux dont les lattes n'arrêtaient pas de disjoncter à chaque fois qu'ils remuaient un tant soit peu plus que d'habitude, ils jetèrent les lits de côté et installèrent les matelas par terre. Ce fut une nuit ordinaire, ni exotique, ni touristique. Une nuit de vent et de pluie. En tendant l'oreille, ils auraient pu entendre les palmiers se tordre dans la tempête. Danielle crut entendre Laurent ronfler, mais lorsqu'elle lui demanda le lendemain matin s'il avait bien dormi et qu'il lui répondit "Pas très bien" elle fut sceptique car la plupart des gens qui prétendent ne pas dormir la nuit sont ceux qui ronflent le plus pendant que leur partenaire écoute les mouches péter au plafond. Le vin blanc l'avait énervée, les gambas épicées lui étaient restées au travers de la gorge, mais elle se souviendrait longtemps de cette soirée à Collioure, de cette nuit chaude et mouillée, de ce serveur catalan aux cheveux longs, des yeux noirs de Laurent, de son besoin de le sentir sur elle beaucoup plus que de son envie de faire l'amour. Elle ne se décida à se réveiller que lorsque son tout dernier rêve fut de nature à lui procurer un état d'esprit acceptable pour une matinée qui s'annonçait d'une pluviosité exceptionnelle pour la saison.

Le vin lui donnait toujours la force de combattre ses idées noires lorsqu'elles se pointaient à l'horizon. Le vin plus que le whisky ou la vodka, d'ailleurs. Heureusement, elle avait un estomac en béton et elle pouvait boire différents vins d'affilée accompagnés de plats divers sans que son état de santé destabilise l'euphorie que lui procuraient les relents de l'ivresse. Elle n'en appréciait que davantage la grimace de Laurent qui la regardait boire en déclarant "Je n'aime pas les alcooliques" ou encore "Attention! Si tu es alcoolique, je te laisse tomber". Pourquoi débitait-il de telles âneries alors qu'un soir où ils rentraient justement de chez Régine, Danielle était tellement ivre qu'elle avait ôté ses vétements dans la rue et que Laurent la tenait contre lui et l'embrassait, très excité, au point qu'elle faillit se faire bouffer par le chien d'un vigile et que les allemands extasiés les applaudissaient du haut de leur balcon.

Au château des Rois Maures, à Perpignan, se trouvait un gitan qui chantait en s'accompagnant à la guitare. Etalé sur les pierres de l'entrée, il laissait sa voix résonner sous l'ampleur de la voûte. Son visage était large, son torse épais sur un ventre obèse, ses cheveux gris éparpillés et ses yeux, comme des trous clairs et perçants sous des paupières couleur de cendres, comme le maquillage d'une femme bourrée. Je l'écoutais, regardant les pieds polis d'une madone et quand il eut fini, je lui donnai une pièce. Il me réclama un billet. Même si j'avais eu un billet, je ne le lui aurais pas donné mais il chantait si bien que je lui donnai une seconde pièce. Il se plaignit alors de l'indifférence des touristes qui ne l'écoutaient pas, ne faisaient pas attention à lui. J'étais d'accord avec ce qu'il disait et longtemps après, en remontant les marches vers les jardins du palais, j'entendis résonner son chant barbare.

Journal de Danielle : dimanche 26 juin
Aujourd'hui dimanche, il a plu toute la journée. J'ai dormi et j'ai bouquiné. Je ne pouvais rien faire d'autre puisque je n'ai ni disques, ni télé, ni magnétoscope. J'ai voulu visionner le petit film que j'avais fait la veille sur Collioure, et j'ai vu défiler un flou artistique sur mon écran de contrôle. Que s'était-il passé? Pourtant, en filmant, je n'avais rien senti de suspect. Peut-être avais-je eu le tort, cependant, en fin de parcours, de confier le caméscope à Laurent pour qu'il me filme devant le château des Templiers. Comme il ne savait pas s'en servir, il est possible qu'il ait appuyé par mégarde sur un bouton d'effacement, ou quelque chose d'autre. Je ne peux pas lui en vouloir mais je ne sais pas si nous retournerons à Collioure cette semaine. Je voulais que nous montions à pied jusqu'au château, à travers les vignes, mais il ne s'en sentait pas le courage. Je lui ai dit "Tu bouffes trop et tu ne fais pas d'exercice". L'autre jour, j'ai dit à Isabelle "Laurent n'a que 38 ans. Il bouffe trop et il ne pratique aucun sport. Dans 5 ans, il sera obèse".

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