mardi 16 septembre 2008

Danielle et Laurent (6)

Lorsque Laurent accueillit Danielle à la gare de Perpignan, elle remarqua un revolver, posé à plat sur la banquette arrière. "C'est pour les arabes, dit-il, en cas d'agression". Elle ne dit rien. Elle pensa qu'il avait ses raisons. Pendant le parcours, elle constata son agressivité, une agressivité vocale et nerveuse. Mais surtout quelque chose de fort, d'implanté en lui. Elle eut la conviction qu'elle voyageait à côté d'un type raciste, mais d'un racisme convaincu de son innocence. Elle n'avait pas affaire au nerveux habituel, celui qui invective les autres automobilistes et engueule les piétons qui traversent hors des clous. Sa nervosité venait d'ailleurs. Pour cette raison, elle le trouva sympathique, comme un complice, un homme qui a souffert et qui conserve en lui une forte dose de violence susceptible de refaire surface lorsque l'occasion se présenterait. Elle ne lui demanda rien mais il lui expliqua que sa soeur s'était faite violer par des arabes et qu'elle n'avait pas obtenu gain de cause en les poursuivant en justice. Danielle pouvait juger un homme en quelques minutes. Elle le jugea potable. De ces hommes qui ont du caractère, de la présence, et pas mal de faiblesses. Lorsqu'il lui posa la main sur la cuisse, au terme du voyage, elle dit "Je vais aller chercher ma clé tout de suite et monter mes bagages dans mon logement. Je n'ai rien à t'offrir mais si tu veux je te paye un pot dans le bistrot qui te plaîra". Il acquiesça en souriant et la fixa de son regard noir qui voulait dire "Je te trouve baisable". Danielle marcha rapidement vers l'accueil. Laurent la suivit calmement. La fille de l'accueil souriait, sympathique. Le bar était désert, ainsi que la piscine. Il était 21h30. Laurent lui saisit ses bagages et l'aida à les monter. Le logement, au 2ème étage, donnait en plein sur la cour. A droite, elle voyait la piscine, et à gauche, le court de tennis. Lorsqu'elle se retourna, Laurent lui faisait face, avec ce sourire du gros mâle qui attend sa récompense. Il avait lancé les bagages sur un des lits jumeaux. Elle se mit contre lui et il l'enlaça. Elle se demanda rapidement s'il la posséderait ce soir, mais elle conclut par la négative. "Allons boire ce pot, dit-elle, j'ai très soif". Il détacha sa bouche de la sienne comme une étiquette que l'on décolle, et ses mains quittèrent des formes qu'il trouvait appréciables.. Ils prirent la voiture pour échouer cent mètres plus loin dans un bar tenu par deux tantes. Laurent les connaissait très bien puisqu'il les embrassa. Danielle trouva ces effusions saugrenues et déplaisantes. Contrariée, elle confirma sa décision de ne pas faire l'amour avec lui ce soir. Elle but une bière en regardant manger toute une famille installée dans la salle de restaurant. Laurent insista pour payer les consommations. Dans la voiture il lui expliqua "Je viens ici tous les week-end. Mon amie habite Saint-Cyprien. Elle se nomme Régine". Danielle sentit la fatigue monter en elle. La fatigue et la bière, le revolver et la chaleur du train, les deux tantes et l'amie de Saint-Cyprien. "Je suis crevée" dit-elle comme il remettait sa main sur sa cuisse. "Demain, dit-il, c'est dimanche. Si tu veux, je t'apporterai les croissants, à 9h". Elle rit, d'un petit rire amer "Les croissants? Mais je n'aurai rien d'autre à t'offrir!" - "Ne t'en fais pas, dit-il, je m'occupe de tout". Elle lui fit au-revoir de la main. Dans sa tête se bousculaient tous les voyages, passés et à venir. Laurent venait d'entrer dans sa vie sur le quai d'une gare. Elle ne savait pas encore s'il lui apporterait le bonheur ou l'erreur. Elle laissa la porte-fenêtre du salon grande ouverte et se mit nue devant le rideau tiré. Elle perçut le bruit d'une fontaine, au centre de la cour. Le grand flot des touristes n'arriverait que la semaine prochaine. Deux gamins s'invectivaient sur le court de tennis. La nuit ne voulait pas tomber. Elle déballa le minimum de bagages. La salle de bain lui plaisait beaucoup, petite et fonctionnelle. Elle rangea ses affaires de toilette et prit une douche, gardant son slip sur elle pour bien l'imprégner de savon. Elle ne regrettait pas de ne pas avoir fait l'amour avec Laurent. Elle voulait qu'il pénètre dans son sommeil et qu'elle repense à lui calmement, en se réveillant. Demain, peut-être, elle n'aurait plus du tout envie de le revoir, ou alors elle l'attendrait avec impatience. Elle aimait cette façon de remettre les gens en question, de repenser à eux dans la solitude, de peser le pour et le contre de leur destinée. Elle se coucha en se disant qu'elle s'habituerait vite à son nouveau lit. Et puis brusquement, elle pensa qu'en la quittant il était parti retrouver son amie Régine. Elle aurait pu l'en empêcher. Elle aurait pu se substituer à elle. Elle réfléchit que la nouveauté qu'elle représentait prendrait le pas sur l'ancienne maîtresse. Elle le voulait. Elle voulait connaître son emprise sur ce nouveau mâle qui la désirait. Elle dormit mal. La fenêtre de la chambre donnait directement sur la rue, derrière la résidence. La circulation, en ce samedi soir, ne s'atténua que vers minuit. Danielle ne voulait plus penser au lendemain, et pourtant elle ne cessait d'y penser. Son sommeil s'en trouva retardé.

La question sexuelle la préoccupait particulièrement. Pourrait-elle trouver suffisamment d'attraits au physique de Laurent pour ne pas paraître empruntée, indifférente? Comme à la veille d'un examen elle essaya de se remémorer tout ce qui pouvait lui paraître excitant à ses yeux : sa taille de rugbyman un peu gras, ses yeux noirs, son sourire à la limite de la tristesse, sa conviction, sa force terrestre. Elle jugea l'examen positif et se fia à son instinct : après tout, les vacances ne faisaient que commencer!

A 8h elle était prête. Elle portait une petite robe claire. Plusieurs fois, elle s'installa sur le balcon, un livre à la main, pour voir les gens aller et venir, mais elle ne lut pas et les touristes lui parurent sans intérêt. Elle se surprit à l'attendre, à regarder sa montre. Elle ne put contrôler sa nervosité. Son livre, un bouquin de Marguerite Duras, la déroutait. Comme toujours, lorsqu'on s'attend au pire, on récolte le meilleur. Il arriva, les bras chargés : du lait, du café, du sucre, du thé, de la confiture et des croissants. Elle trouva ça super, très encourageant. Elle se jeta dans ses bras. "Attention, dit-il en retirant son blouson, mon revolver est dans ma poche".

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