lundi 29 septembre 2008

Danielle et Laurent (10)

Détestant les femmes, Julian préférait la compagnie des hommes : les hommes mariés pour le sexe, les pédérastes pour le bavardage. La première fois qu'il me conduisit à la plage, il s'installa à côté d'un couple de marseillais. Je connaissais bien ces endroits pour les fréquenter de temps en temps : les buissons pour la drague, la plage pour le voyeurisme, et la mer pour le bain. Au bout d'une heure de conversation les deux marseillais m'apparurent comme totalement inconséquents. La primauté du langage des folles s'apparente à une sorte de mondanité creuse entrecoupée de criaillements vulgaires. Les onomatopées ridicules pouvaient être hilarantes dans un certain contexe. A la plage où les corps se livraient à un double combat : je te vois et je me fais voir, ces exclamations de salon se révèlaient incohérentes. L'activité des deux marseillais tenait de la folie suprème : s'asseoir, se lever, reluquer, papoter, s'enduire de crème, se baigner, s'enduire de crème, reluquer, aller draguer, se coucher, se lever, se baigner, s'enduire de crème... Leurs multiples pérégrinations, éprouvantes, me laissaient sur le cul, essoufflé! Je restais coi, la gorge sèche, les yeux brûlés, les tympans épuisés par leurs jérémiades incessantes. Le plus gros, surtout, me révulsait par sa naïveté confondante. Il se tenait debout au-dessus de moi, débitant ses potins en souriant tout en se tartouillant de crème solaire sur toutes les parties de son corps. Ses formes opulentes prenaient l'aspect, au bout de quelques heures, d'un immonde monceau d'huile. Je rongeais mon frein en me disant que demain serait un autre jour, mais cette calvitie intellectuelle me hérissait le poil. J'avais beau me concentrer sur les effets nocifs d'une crème solaire sur une peau trop grasse, je ne parvenais pas à sourire! Mauvais genre, trop de soleil, hypertension, je m'irritais de leur moindre renue-ménage.
Le plus maigre, pourtant, présentait quelques éléments positifs : ironie à fleur de peau, besoins répétés d'aller se satisfaire dans les buissons qui me le rendaient supportable. Mais son copain obèse me foutait le cafard. Le lendemain je fis part de mon irritation à mon ami et je résolus de faire chambre à part : je prétextai la brûlure du sable pour me rapprocher de la mer, m'éloignant par la même occasion de leur compagnie perturbante. Il m'importait peu de passer pour bégueule, mauvais coucheur ou tête de lard, je me refusais à en supporter davantage. Julian vint me voir plusieurs fois, pensant sans doute que je m'ennuyais ou tout simplement pour me rafraîchir de potins venimeux. Avant de partir, toutefois, je me joignis à eux et j'eus l'indulgence d'écouter la dernière aventure du plus gros des invertis, qui me la raconta avec force détails, mimiques et roulements des yeux. "Figure-toi que hier soir, lorsque nous sommes repartis, nous avons rencontré un superbe mâle qui se bronzait à poil assis sur un tronc d'arbre. Un véritable monstre, je te dis pas. La taille de son sexe, je n'ai pas besoin de te faire un dessin. Je me suis approché et je lui ai demandé s'il ne voulait pas que je le soulage un peu, vu qu'il avait certainement un problème de ce côté-là. Une telle monstruosité, je t'assure, mon Dieu, je n'aurais jamais cru que des choses pareilles puissent exister! Eh bien tu me croiras si tu veux, mais il a refusé que je lui vienne en aide!". Je le croyais aisément, vue l'attitude gloutonne et particulièrement obscène dont son visage simulait le désir. "Je crois bien qu'il n'aimait pas les pédés" finit-il par dire. "Je crois plutôt, pensai-je, qu'il ne supportait pas les grosses folles".

jeudi 25 septembre 2008

Danielle et Laurent (9)

J'attendais Julian. Il devait se procurer la voiture d'une voisine et venir me chercher pour aller à Figueras. J'avais l'habitude d'attendre. En tant qu'être incomplet, j'avais attendu toute ma vie. Je pouvais rester des heures entières sans bouger. Il me suffisait pour celà de me concentrer sur un événement précis du passé et je pouvais alors broder toute une série de réflexions qui me dérobaient aux impératifs du temps. Cette particularité me venait des heures passées au lycée de Tours, dans la section Beaux Arts où je bossais comme modèle pour me faire de l'argent de poche, au milieu d'une bande de simili-peintres qui, la plupart du temps, organisaient des concours de péteries pour se distraire de la monotonie des heures de cours.

Au départ, Julian fit attention. Il conduisait toujours d'une façon extravagante, regardant partout à la fois et se confondant en injures dès qu'il voyait une femme au volant. Son vocabulaire, alors, devenait ordurier. Nous roulâmes sans encombre jusqu'à la frontière espagnole. En arrivant à Figueras, je reconnus de loin le musée Dali. Les revues spécialisées dans l'Architecture ou les Beaux Arts le mentionnaient régulièrement mais je ne m'attendais pas au choc physique et sentimental que sa découverte me procura. De cet ouvrage émanait un tel foisonnement d'idées et une telle maîtrise dans leur exploitation que j'en fus sidéré. Stuféfaction, dirais-je. Tout en acceptant mes impressions, je n'arrivais pas à les analyser concrétement. Je tournais autour du bâtiment, avalant ma salive, m'imprégnant des détails, dérouté! Je voulais tout ingurgiter, les oeufs, les femmes à poil, les créneaux rouges, sachant pertinement que, peut-être, je ne reverrais plus jamais ce monument de ma vie. Fantasque, comme un gâteau posé au milieu d'une ville sans éclat, sans originalité, que la présence en ses flans de ce cadeau un peu obscène, tout du moins dérangeant. J'interrogeai les statues, les inscriptions, je me berçai de découvrir d'un seul coup toutes les allusions, toutes les illusions prophétiques, sans dictionnaire, sans mon glossaire surréaliste. L'intérieur, plus encore que l'extérieur, recélait des trésors inestimables. Je subissais l'exploit et en même temps je m'inclinais devant cette rationalisation du non-sens. Je ne trouvais dans ces tableaux, ces sculptures, et l'agencement de ces salles, rien à redire, rien à ajouter, rien à rejeter.
Tout se tenait, jusque dans l'irréalité absolue. Le surréalisme pouvait avoir influencé toute une génération, ses retombées, comme l'inconscient, faisaient désormais partie de la vie quotidienne, influençable et personnelle. Je ne vivais pas en surréaliste. Je vivais en être hanté de pensées pernicieuses, fouettées de temps en temps par des retours obsédants de moralité laborieuse. Je vivais en fin de siècle, partagé entre le désir de mordre et celui de tendre la joue. Chacun pensait ce qu'il voulait dans les formules toutes faites, parfois gratuites, des disciples d'André Breton. Rien, ici, ne me parut jeté au hasard. Rien, ici, d'un automatisme dégénéré. Mais un monde complétement à part, où l'onirisme et la folie se trouvaient digérés d'une façon parfaite. Au fur et à mesure que chaque objet, chaque tableau se complétaient dans le déroulement fascinant de leur mission égoïste, je ressentais l'amour, la connivence de ces deux êtres, Dali et Gala, qui fusionnaient dans ce chef d'oeuvre, ce testament. Ils me disaient "Voilà comment nous avons vécu, à la face du monde" avec orgueil et prétention.

Nous déjeunâmes rapidement dans un bar sans intérêt et nous reprîmes la route. Julian se déchaîna. Il voulait tout me faire voir : les vieilles églises, les monastères, les cloitres qui parsemaient la route. Perdus dans la montagne, comment décrire ce silence qui écrasait les pierres que le soleil faisait éclater? Ces ruines sobres qui paraissaient inaccessibles et qui nous dominaient, au fur et à mesure que nous les abordions, nous renvoyant à notre solitude. Dans un village, il me fit voir la maison où sa grand-mère avait vécu, jusqu'à ce que le plafond de sa chambre lui tombât sur la tête. La maison restait debout, éventrée, à côté d'une maison moderne au balcon ajouré. Julian souriait, se moquant de mon incrédulité. Plus loin, le château, reconverti en casino, nous refusa l'écrin privé de son jardin. Nous continuâmes, inlassables, et l'approche du soir ramenant les touristes, Julian retrouva l'automatisme frénétique de sa mysoginie hargneuse. Pas une femme ne fut épargnée. Il me glissait à l'oreille des insanités nauséeuses qui me faisaient sourire. Les femmes demi-nues, surtout, lui procuraient la plus grande jubilation. "Regarde-moi toutes ces connasses, me dit-il à Port Bou, comment osent-elles se déshabiller devant les hommes? Elles font tellement de cinéma pour se faire remarquer que la plupart de leurs maris se retrouvent pédés sans qu'elles s'en rendent compte!". Je bus de la bière fraîche en écoutant ses psalmodies. Cette haine des femmes, sans doute, remontait loin dans son exhubérance, mais je ne me sentais pas le courage de percer à jour les motivations qui l'animaient. La bière, de toute façon, me poussait plus à l'indulgence qu'à la psychanalyse. Julian ne buvait jamais d'alcool et ne fumait pas. Nous rentrâmes sur Perpignan, à toute vitesse.

lundi 22 septembre 2008

Danielle et Laurent (8)

Deux soirs de suite, Laurent ne vint pas voir Danielle. Elle se perdit en conjectures. Elle ramenait sur le tapis, quelquefois, des sentences éculées mais vivaces dans son souvenir, du genre "la vérité n'est jamais bonne à dire" - "mieux vaut feindre l'indifférence que jouer la passion" - "les ménages à trois ne font jamais bons ménages". Avec véhémence elle refusa de ressasser le cliché bidon de "l'aventure touristique". Rien ne la surprenait dans l'attitude de ce mâle égoïste, mais ce contretemps lui déplaisait. A défaut de l'aimer, Laurent la désirait. Il ne pouvait donc pas l'oublier. Le deuxième soir, ne l'ayant pas croisée dans les endroits publics de la résidence, les Granger vinrent lui rendre visite. Rémy s'installa à sa table, devant la bouteille entamée, et se servit un verre de vin pour accompagner la beuverie de Danielle. Isabelle les fixa d'un air sous-entendu avec un petit sourire ironique tandis que Sonia gambadait dans la pièce. "On te croyait morte" dit-elle. "Laurent n'est pas venu" répliqua Danielle. "Il n'est que 10 h, dit Rémy, il peut encore venir" et il remplit les verres. Sonia se mit à faire sa teigne. Elle voulait rentrer. Rémy parla de leur journée passée à Céret, dans une réserve animalière. "La gosse est crevée, dit-il, on ne va pas traîner". Il se leva et vida son verre. "Tu viendras dîner avec nous demain soir?" demanda Isabelle. Comme elle reculait vers la porte, Laurent entra. Il rit en les voyant. "Toi aussi tu viendras nous rejoindre?" lui dit-elle. "Tu apporteras le vin!" lui lança Danielle en se levant. Elle lui faisait face. Il regarda la bouteille à moitié vide sur la table et fronça les sourcils. "Bon, dit Isabelle, on y va. A bientôt, les petits". Rémy rigolait. Laurent s'assit. Danielle lui versa un verre de vin. Elle voulait le harceler mais il la regardait d'un air triste. "Tu n'es pas venu hier soir" dit-elle. "J'ai braqué deux arabes. Je n'étais pas en état de venir". Elle ne comprenait pas. "Ils ont voulu faucher ma bagnole" dit-il. "Tu n'as pas tiré, j'espère?". Il haussa les épaules "Non, bien sûr, je les ai seulement menacés". Il se leva "Viens, je n'ai pas mangé. On va aller sur le port". Elle aimait les lumières, sur le port, et tous ces bâteaux, un amoncellement de bâteaux. Avec le vent, elle les entendait tinter. Sans ses lunettes, elle voyait la nuit comme un rêve éveillé, suspendue à son bras. "Tu es saoule" dit-il avec dans la voix du reproche. Elle rit en silence. "Ce soir je te ferai l'amour" pensa-t-elle. Ils s'assirent à une table, dans un coin presque sombre. Deux chiens jouaient plus loin, sur un terre-plein en béton flanqué d'une vilaine sirène. Laurent embrassa la serveuse et ils échangèrent quelques mots. "Vous avez les yeux brillants" dit-elle à Danielle. "Elle est saoule" dit Laurent. "Ce n'est pas vrai!" protesta-t-elle.Lorsqu'ils rentrèrent, enlacés, le vent s'était remis à souffler, inclinant les palmiers. Elle l'embrassa devant le vigile qui retenait son chien. Laurent dit bonsoir au vigile et elle se mit à rire. En haut, tandis qu'elle se déshabillait, il lui dit "Je vais rester coucher". Elle le regarda. Elle ne sut pas s'il restait pour elle ou pour ne pas être seul. Il y avait dans sa voix une telle tristesse qu'elle le soupçonna de regretter d'avoir brandi son revolver, l'autre soir. Elle l'enlaça et commença à s'occuper de lui. Il se mit à palper son corps nu et bientôt le désir le submergea. Comme d'habitude elle eut hâte de le voir jouir pour se blottir dans ses bras et rester quelques minutes à le regarder dormir.

jeudi 18 septembre 2008

Danielle et Laurent (7)

Julian venait travailler un mois par an en Normandie. Le mot "travailler" ne convenait pas vraiment au rendu de ses activités, mais il n'avait pas de complexes à venir faire la bonne dans un authentique château appartenant à un couple d'industriels. Depuis notre première rencontre, nous étions devenus amis et je l'avais présenté à Jack, le seul homme qui comptât dans ma vie. Nous organisions ainsi des petites soirées, soit chez moi, soit chez Jack, soit au château, qui nous mettaient en joie et qui nous permettaient de nous défouler avec acharnement. Dans le registre des qualités et des défauts, Julian profilait un nombre incroyable de désagréments : il détestait les femmes en général, et presque tous les hommes en particulier. Je n'avais encore jamais rencontré un homme aussi borné que lui : toutes les femmes sans exception étaient des connasses, et les hommes gros, bedonnants, vieux, binoclards, barbus, moustachus, étaient à foutre à la trappe. Je me demandais comment j'avais pu obtenir grâce à ses yeux. Je ne me résolus d'ailleurs jamais à le questionner sur le pourquoi du comment de notre amitié. Je compris seulement tout de suite que j'éprouvais de l'affection pour lui et que rien ni personne ne pourraient m'empêcher d'accepter ses défauts même si je n'en approuvais pas le centième. Le château dans lequel Julian officiait un mois par an correspondait exactement à l'idée que je me faisais d'un château romantique : le toit se cassait la gueule en morceaux et les champs tout autour servaient de pâturage aux vaches. Mais l'intérieur ne dédaignait pas l'alliance du goût ancien avec les raffinements les plus modernes. La télé et le magnétoscope voisinaient confortablement avec le Louis XV, et l'ordinateur se pavanait sur la cheminée monumentale devant laquelle chaque visiteur se devait de tomber en extase, impérativement. Il faut croire cependant que mes goûts particuliers me portaient volontiers sur l'excentricité absolue puisque Julian me plaisait, malgré l'absolu non sens de ses prises de position, alors que le couple de châtelains, fort honnête au demeurant, ne suscitait que mon indifférence.

mardi 16 septembre 2008

Danielle et Laurent (6)

Lorsque Laurent accueillit Danielle à la gare de Perpignan, elle remarqua un revolver, posé à plat sur la banquette arrière. "C'est pour les arabes, dit-il, en cas d'agression". Elle ne dit rien. Elle pensa qu'il avait ses raisons. Pendant le parcours, elle constata son agressivité, une agressivité vocale et nerveuse. Mais surtout quelque chose de fort, d'implanté en lui. Elle eut la conviction qu'elle voyageait à côté d'un type raciste, mais d'un racisme convaincu de son innocence. Elle n'avait pas affaire au nerveux habituel, celui qui invective les autres automobilistes et engueule les piétons qui traversent hors des clous. Sa nervosité venait d'ailleurs. Pour cette raison, elle le trouva sympathique, comme un complice, un homme qui a souffert et qui conserve en lui une forte dose de violence susceptible de refaire surface lorsque l'occasion se présenterait. Elle ne lui demanda rien mais il lui expliqua que sa soeur s'était faite violer par des arabes et qu'elle n'avait pas obtenu gain de cause en les poursuivant en justice. Danielle pouvait juger un homme en quelques minutes. Elle le jugea potable. De ces hommes qui ont du caractère, de la présence, et pas mal de faiblesses. Lorsqu'il lui posa la main sur la cuisse, au terme du voyage, elle dit "Je vais aller chercher ma clé tout de suite et monter mes bagages dans mon logement. Je n'ai rien à t'offrir mais si tu veux je te paye un pot dans le bistrot qui te plaîra". Il acquiesça en souriant et la fixa de son regard noir qui voulait dire "Je te trouve baisable". Danielle marcha rapidement vers l'accueil. Laurent la suivit calmement. La fille de l'accueil souriait, sympathique. Le bar était désert, ainsi que la piscine. Il était 21h30. Laurent lui saisit ses bagages et l'aida à les monter. Le logement, au 2ème étage, donnait en plein sur la cour. A droite, elle voyait la piscine, et à gauche, le court de tennis. Lorsqu'elle se retourna, Laurent lui faisait face, avec ce sourire du gros mâle qui attend sa récompense. Il avait lancé les bagages sur un des lits jumeaux. Elle se mit contre lui et il l'enlaça. Elle se demanda rapidement s'il la posséderait ce soir, mais elle conclut par la négative. "Allons boire ce pot, dit-elle, j'ai très soif". Il détacha sa bouche de la sienne comme une étiquette que l'on décolle, et ses mains quittèrent des formes qu'il trouvait appréciables.. Ils prirent la voiture pour échouer cent mètres plus loin dans un bar tenu par deux tantes. Laurent les connaissait très bien puisqu'il les embrassa. Danielle trouva ces effusions saugrenues et déplaisantes. Contrariée, elle confirma sa décision de ne pas faire l'amour avec lui ce soir. Elle but une bière en regardant manger toute une famille installée dans la salle de restaurant. Laurent insista pour payer les consommations. Dans la voiture il lui expliqua "Je viens ici tous les week-end. Mon amie habite Saint-Cyprien. Elle se nomme Régine". Danielle sentit la fatigue monter en elle. La fatigue et la bière, le revolver et la chaleur du train, les deux tantes et l'amie de Saint-Cyprien. "Je suis crevée" dit-elle comme il remettait sa main sur sa cuisse. "Demain, dit-il, c'est dimanche. Si tu veux, je t'apporterai les croissants, à 9h". Elle rit, d'un petit rire amer "Les croissants? Mais je n'aurai rien d'autre à t'offrir!" - "Ne t'en fais pas, dit-il, je m'occupe de tout". Elle lui fit au-revoir de la main. Dans sa tête se bousculaient tous les voyages, passés et à venir. Laurent venait d'entrer dans sa vie sur le quai d'une gare. Elle ne savait pas encore s'il lui apporterait le bonheur ou l'erreur. Elle laissa la porte-fenêtre du salon grande ouverte et se mit nue devant le rideau tiré. Elle perçut le bruit d'une fontaine, au centre de la cour. Le grand flot des touristes n'arriverait que la semaine prochaine. Deux gamins s'invectivaient sur le court de tennis. La nuit ne voulait pas tomber. Elle déballa le minimum de bagages. La salle de bain lui plaisait beaucoup, petite et fonctionnelle. Elle rangea ses affaires de toilette et prit une douche, gardant son slip sur elle pour bien l'imprégner de savon. Elle ne regrettait pas de ne pas avoir fait l'amour avec Laurent. Elle voulait qu'il pénètre dans son sommeil et qu'elle repense à lui calmement, en se réveillant. Demain, peut-être, elle n'aurait plus du tout envie de le revoir, ou alors elle l'attendrait avec impatience. Elle aimait cette façon de remettre les gens en question, de repenser à eux dans la solitude, de peser le pour et le contre de leur destinée. Elle se coucha en se disant qu'elle s'habituerait vite à son nouveau lit. Et puis brusquement, elle pensa qu'en la quittant il était parti retrouver son amie Régine. Elle aurait pu l'en empêcher. Elle aurait pu se substituer à elle. Elle réfléchit que la nouveauté qu'elle représentait prendrait le pas sur l'ancienne maîtresse. Elle le voulait. Elle voulait connaître son emprise sur ce nouveau mâle qui la désirait. Elle dormit mal. La fenêtre de la chambre donnait directement sur la rue, derrière la résidence. La circulation, en ce samedi soir, ne s'atténua que vers minuit. Danielle ne voulait plus penser au lendemain, et pourtant elle ne cessait d'y penser. Son sommeil s'en trouva retardé.

La question sexuelle la préoccupait particulièrement. Pourrait-elle trouver suffisamment d'attraits au physique de Laurent pour ne pas paraître empruntée, indifférente? Comme à la veille d'un examen elle essaya de se remémorer tout ce qui pouvait lui paraître excitant à ses yeux : sa taille de rugbyman un peu gras, ses yeux noirs, son sourire à la limite de la tristesse, sa conviction, sa force terrestre. Elle jugea l'examen positif et se fia à son instinct : après tout, les vacances ne faisaient que commencer!

A 8h elle était prête. Elle portait une petite robe claire. Plusieurs fois, elle s'installa sur le balcon, un livre à la main, pour voir les gens aller et venir, mais elle ne lut pas et les touristes lui parurent sans intérêt. Elle se surprit à l'attendre, à regarder sa montre. Elle ne put contrôler sa nervosité. Son livre, un bouquin de Marguerite Duras, la déroutait. Comme toujours, lorsqu'on s'attend au pire, on récolte le meilleur. Il arriva, les bras chargés : du lait, du café, du sucre, du thé, de la confiture et des croissants. Elle trouva ça super, très encourageant. Elle se jeta dans ses bras. "Attention, dit-il en retirant son blouson, mon revolver est dans ma poche".

dimanche 14 septembre 2008

Danielle et Laurent (5)

Dans le train qui me conduisait de Paris à Perpignan, je laissais défiler les gares. Je dus somnoler jusqu'à Limoges car Limoges ne me rappela pas l'origine de ma naissance. Mais lorsque le train s'arrêta en gare de Brive, je reconnus la salle d'attente où j'avais vécu ma première expérience amoureuse. Rien ne semblait changé! La gare continuait de tenir debout malgré la laideur de ses murs. Trente ans après, elle surgissait, comme une vieille carte postale qui s'anime avec la foule de ses figurants. Elle s'enfoncerait ainsi dans le temps, vieille dans sa grisaille. Je jetai les yeux sur le chef de gare pour voir s'il me reconnaîtrait, moi l'enfant perdu qui s'était donné dans sa salle d'attente. Mais les salles d'aujourd'hui ne sont plus ouvertes la nuit. Et le train repartit. Il reprit sa course à travers mon enfance. Et plus il s'enfonçait vers le Sud, plus je reconnaissais cette terre, cette pierre usée et solide qui faisait des maisons des asiles immortels, ces toits de tuiles qui refusaient de céder au soleil et à la sécheresse. Comment pouvais-je me rappeler tout celà? Comment pouvais-je me convaincre que cette terre était mienne alors que je n'y avais jamais habité? Je la sentais en moi, j'y sentais mes racines, ma façon de me taire des heures entières, de m'enraciner dans le sol avec orgueil et prétention, sans tenir compte des avis des autres, dans cette croyance que rien ni jamais ne viendrait me soulever, et que je retomberais, raide, dans la poussière et dans l'Enfer. Dans les souvenirs pêle-mêle qui remontaient en moi, la présence de Sète, tout au long du chemin, me rappelait mes vacances en famille. Et nous devions traverser ce paysage aride pour nous trouver en mer, pour jouir de cette longue plage qui n'en finissait pas de briller comme un écran qu'irisait le soleil. Cette campagne sauvage, brûlée par son silence que le passage du train n'arrivait pas à troubler, résonnait en moi comme un chemin maintes fois parcouru en été, coupée par la profondeur de ses bois et le jaillissement de ses ruisseaux. Je me sentais à peine âgé, comme un écolier étudiant, cloué sur sa banquette dans une école imaginaire, le nez rivé sur la toile ou le film en noir et blanc d'un passé révolu resurgissait, actualisé par les couleurs. Je n'avais pas 11 ans.

Laurent reprocha très vite à Danielle son manque d'enthousiasme dans l'acte sexuel. Elle ne se démonta pas. Elle lui raconta l'histoire invraisemblable mais totalement crédible d'un amant mort dans un accident de voiture qu'elle n'avait jamais oublié. Elle s'en voulut après. L'amant mort en question se portait comme un charme. Mais elle le voulut mort pour attendrir Laurent. Laurent ne chercha pas plus avant, il s'en foutait. L'histoire tenait debout : amant, amour, voiture, accident, regrets éternels. Il s'était dit "Elle pense à quelqu'un d'autre pendant que je la baise". Maintenant il savait "Le mec est mort, mais toujours vivant dans sa tête". Sans doute baisait-il mieux que lui. "Tu n'as pas tort, Hector" pensa Danielle. L'oeil critique qu'il portait sur elle s'émoussa, sans pour autant briller de connivence. Tous les hommes se croient baiseurs infatigables. Il la trouvait morose, perdue dans ses pensées, sujette à des accès de franchise alarmants. Dans les bras l'un de l'autre ils oubliaient ce qui demain les séparerait : le quotidien, l'irréparable.

La première fois que je rencontrai Julian, ce fut au Havre, il y a bien 5 ans de celà. Me rappellerai-je jamais ce qu'il foutait là? Je me souviens très bien qu'il promenait deux chiens. Il avait ce cheveu noir et ces yeux noirs que l'on voit dans le Sud. Un visage un peu brut et une voix chantante. Il possédait cette astuce des gens qui vous épient sans en avoir l'air. Lorsqu'il parlait, sa voix semblait venir d'ailleurs, d'un monde corrompu, d'un bas-fond trivial peuplé de transexuels, voix et chants, prières et onomatopées. Il parlait calmement, mais sa voix accentuait ses paroles comme le débit d'un chant de castrat d'autrefois, la peur des bons bourgeois avides de morale qui fuyaient les propres transgressions de leur rectitude étriquée. Le corps mince et musclé sans une once de graisse, pas un souffle d'alcool, jamais de nicotine, un paradis perdu, voué aux hommes jusqu'à l'éternité. La présence des deux chiens me fascinait. D'habitude, le mec qui promène son chien, pédé ou pas, parade. Faut que le clebs ressemble au mec, qu'il ait la même longueur de poil. Ici, les chiens frisaient la panique. Le plus petit, un basset, traînait la patte, morbide, essoufflé, clinique, à bout d'âge. Le second, hirsute, noir corbeau, filait la frousse par l'ampleur de ses crocs. Julian, mince et frêle malgré la texture musclée de son corps, ne tenait pas de laisse. Le chien noir me fixa, d'un air totalement inintelligent. Il mâchait un gros morceau de bois dans sa gueule béante que ses dents puissantes détruisaient impitoyablement. Le maître du chien cria "Gérard!" et je grimpai d'un cran dans l'irréalité. Pas besoin de drogue, de poudre pour fantasmer : Julian entrait dans ma vie par la porte de l'originalité. Je lui demandai mon chemin, prétexte fallacieux. Je fus frappé par l'accent de sa voix. Le chien Gérard, pour sa part, venait de terminer de mettre en poudre son bout de bois et commençait à s'intéresser à mon poignet qui se promenait innocemment à hauteur de sa gueule.

mercredi 10 septembre 2008

Danielle et Laurent (4)

La plage ressemblait quelquefois à un long banc de sable où des insectes inconnus se tournaient sans parvenir à retrouver leur équilibre. La plage m'attirait par ses corps presque nus qui faisaient tâche sur le sable. Les corps dans l'eau ont un reflet qui les déstabilise. J'enviais la nature d'avoir doté certains corps de bénéfices expressionnistes. J'avais beau me dire "Tout ne dure qu'un temps et les corps s'avachissent" je ne me lassais pas de ces contemplations abusives qui font rêver l'adolescent. Au-delà du désir, de la sexualité anarchiste, il y avait l'émerveillement, l'extase peut-être d'un présent florissant. Tout au fond de la plage, certains corps nus s'affichaient avec une impudeur exotique. Je rêvais de devenir éphèbe pour me détacher de la ligne de fond, celle qui désoriente l'horizon, mouvance infime du sable et de l'eau. La béatitude infinie de ces hanches, d'homme ou de femme, me fascinait.

La vie est une salope et nous sommes les enfants de ses noces maudites avec le firmament. Homme, femme, quelle importance? Je n'ai jamais su comprendre ce que ces deux mots signifiaient. J'ai toujours été à la recherche d'un être unique qui serait l'achèvement d'une complicité. Nous regarderions l'un et l'autre vers l'éternité, et nos qualités et nos défauts se compléteraient à la façon d'un puzzle qui nous rendrait indispensables jusqu'à l'obscénité. L'obscurité de nos désirs et de nos sexes, de nos aventures passagères, l'incroyable autorité des enfants et la duplicité des adultes, le laxisme des fauves et la vente aux enchères de nos illusions corrompues.

Extrait du journal de Danielle - Dimanche 14 août - Le Havre
Il a plu toute la journée. Je me suis endormie par soubresauts, solitaire. Je portais en moi cette espèce d'inertie qui me rappelait mon enfance, les jours où je ne pouvais pas me lever. Trop de pesanteur dans mon esprit troublé. "Que savez-vous de mon enfance?" répliquai-je, juste au moment où l'autre faisait semblant de ne pas me comprendre. Le monde des adultes me paraissait si loin, si hermétique. Pour certains gosses, c'était un refuge, un château-fort qui les abritait des inconvénients de la vie, pour moi c'était une forteresse dont il ne fallait absolument pas franchir le pont-levis sinon toute liberté serait définitivement compromise : liberté d'action, de pensée, liberté de vivre. "Nous portons tous notre croix dans la vie, à un moment ou à un autre, et quelquefois c'est dès l'enfance que nous avons reçu les stigmates de l'autodestruction". J'avais horreur de pénétrer dans une église. Je riais à la messe lorsque l'on m'y entraînait. Je me rappelle très bien la statue de la Vierge dans la chambre de mes parents. Je la regardais toujours avec crainte et avec suspicion. Je redoutais le moment où elle se mettrait à parler et je me méprisais de la supplier de parler. Mon père, qui était athé, écrasait toujours son mégot sur le dessus de sa tête et je me prenais à trembler, horrifiée. Et si elle se vengeait sur moi? Tous les soirs, avant de me coucher, je lui essuyais soigneusement le dessus de la tête et je lui disais "Pardonne-moi si je t'ai offensée mais c'est mon père qui t'a blessée. C'est un imbécile, il ne sait pas ce qu'il fait. Même si je ne crois pas en Dieu, ce dont je ne sais strictement rien, je ne m'amuserai jamais à t'écraser des mégots sur la tête" et je me signais longuement avec au fond de moi un petit ricanement qui m'énervait. Je n'arrivais pas à me débarrasser de cette joie intérieure qui m'empêchait de me frayer un chemin jusqu'à la Grâce. En fin de compte, j'admirais trop mon père pour m'offusquer vraiment de sa brutalité. J'aurais voulu être aussi forte que lui pour me sentir plus proche de la terre que du ciel. Mais lorsque j'étais malade, lorsque je portais dans ma gorge une de ces angines qui me foutaient en l'air, je me tournais alors systématiquement vers la Vierge et je l'implorais "Je croierai en toi si tu me guéris". Cependant, les moments les plus angoissants, ceux qui ramenaient en moi une foi incroyable, se concrétisaient lors des nombreux orages du mois d'août qui éclataient au-dessus de ma chambre. Plus personne ne pouvait réfréner les illuminations qui me saisissaient, les visions frénétiques qui emplissaient mon cerveau. Je priais, à genoux ou couchée, les mains nouées dans une extase quasi diabolique, comptant les secondes qui séparaient les éclairs des coups de tonnerre et murmurant d'incroyables promesses sur le reniement à tous mes péchés. Mais une fois l'orage éloigné, je n'avais plus du tout envie d'entrer dans les ordres.

lundi 8 septembre 2008

Danielle et Laurent (3)

Il y a des moments où je n'arrive pas à comprendre ce qui se passe en moi. Alors je me dis, sans doute pour me consoler "Ne t'en fais pas, tu n'es pas fini". J'ai oublié de vivre comme les autres à force de regarder passer les anges. Tout enfant, j'écoutais parler les autres et quand je leur parlais, je me regardais leur parler. Celà n'allait pas sans quelques fous rires intérieurs. Je me disais "Mais qu'est-ce que tu es en train de raconter?" et je regardais ma gueule, face à mon interlocuteur, et je n'avais pas vraiment l'impression qu'il s'agissait de moi. Je voyais une caricature, quelqu'un qui essayait de séduire ou d'être infect mais certainement pas le garçon que j'étais, qui n'avait pas envie de parler. C'est sans doute pour ça que le langage des animaux m'est devenu beaucoup plus familier que celui des hommes. Lorsque Maya est assise sur mes genoux, elle réagit au dixième de seconde près : à chaque baîllement, grognement, mouvement du bras ou de la main que je fais. De même, elle sait exactement le miaulement, le ronronnement, le coup d'oeil qui me fera céder. Je crois bien que personne ne pourra me faire obéir comme me font obéir un chat ou un chien.

Le soir de la fête de la musique, Laurent emmena Danielle chez Régine. La maison, un peu à l'écart de Saint Cyprien, abritait quatre chiens et un poulailler. Ce soir-là, il y avait pas mal de monde : Roland, le père adoptif de Laurent, le Portugais et sa femme, Régine bien sûr et Christiane, l'amie de son fils, une fausse blonde qui, à force de se décolorer les cheveux, ressemblait à une Marilyn de banlieue. Le repas se terminait, fort heureusement. Danielle ne voulait pas rester. Prétextant la fête de la musique, elle supplia Laurent de retourner en ville. Roland et le Portugais partirent. Ils retournaient à Perpignan. Danielle se souvenait de ces interminables journées passées autour d'une table, en famille, à bouffer, boire et discuter, à éplucher tous les sujets possibles de conversation sans jamais aller à l'essentiel. Elle refusait ce genre de facilité illusoire. Régine et Christiane voulurent les accompagner. Danielle se surprit à trouver de l'amusement dans les yeux de Laurent lorsqu'il fixait Régine. Elle trouva cet amusement totalement déplacé. Régine n'avait rien d'amusant. Elle pouvait quelquefois impressionner par sa façon de parler librement, mais sa franchise s'apparentait plus à des coups de gueule qu'à des réflexions mûrement réfléchies. Pour bien montrer qu'elle n'était pas dupe, elle mit un soin particulier à se préparer : cheveux blonds, chemisier rouge, pantalon noir. Danielle se sentit agacée. Pourquoi cette volonté physique de se faire remarquer à tout prix, de crier "Oui, je suis là, je reste et je vous emmerde!" qui remplissait Laurent de curisosité et d'admiration? Christiane portait une de ces petites robes à fausses manches-fausses bretelles qui faisaient fureur cet été. Elle semblait vivre dans le sillage de sa fausse belle-mère avec d'autant plus d'assurance qu'elle se sentait protégée. "Quel drôle de trio! pensait Danielle. Et qu'est-ce que je fais avec eux?". Laurent lui échappait lorsqu'il posait les yeux sur Régine. Elle ne le possédait plus. Elle en souffrait. La soirée fut insupportable. A Saint Cyprien, le port resplendissait de lumières, même si toutes ces lumières ne provenaient que d'enseignes publicitaires. Les reflets de l'eau, la magie des cafés, les terrasses pleines de monde renvoyaient l'image d'une illusion de bonheur, d'un plaisir physique de l'eau et du ciel en accord avec les passants. Le bruit presque palpable des coques de bâteaux doucements fouettées par la mer remplissait l'air. Danielle croyait sans doute que la nuit ne finirait jamais, qu'elle pourrait se fondre en elle sans y perdre son âme comme lorsqu'elle se mettait à boire pour oublier l'oubli.
Mais Régine vint briser le charme en prétextant que la fête ne se déroulait pas là. Elle voulait aller à la Charrette. La Charrette était un bistrot merdique qui se trouvait à l'autre bout de la plage, sur un parking où s'accouplaient les échangistes et les homosexuels. Danielle sentit la haine monter en elle, la haine et le dégoût. Elle savait qu'elle perdrait Laurent si elle se mettait à gueuler mais elle savait qu'elle ne pourrait s'empêcher de gueuler lorsqu'elle se trouverait dans cet endroit merdique. Elle imaginait déjà l'ambiance : dégueulasse! La plage n'est acceptable, la nuit, que pour s'embrasser et s'aimer, amoureux. Mais elle ne peut qu'être hostile aux amants désunis. Danielle regarda Laurent et se demanda si le moment était déjà venu de rompre avec lui. Elle goûta cet avenir comme une orange amère. Dans la voiture qui les emmenait vers la plage, Laurent lui serrait la main mais il fixait Régine dans le rétroviseur, Régine qui amusait la galerie en racontant l'une de ses sordides histoires avec un de ses clients. Qu'est-ce qu'elle trafiquait déjà? Tenancière? Gérante? Assistante? Le bistrot lamentable, avec ses fausses cahutes tahitiennes, croulait sous la désolation. Deux ou trois désoeuvrés, en attente d'un tirage de coup, et les serveurs qui écoutaient sans doute la retransmission d'un match de foot. Une horreur. Mais Régine continuait son cinéma, imperturbable, inaccessible, dans sa sphère de contentement qui la faisait paraître animée, presque vivante. Laurent fixa Danielle et, pour la première fois de la soirée, s'aperçut enfin qu'elle s'ennuyait. Il lui donna un coup de coude : "Qu'est-ce que tu as? Tu fais la gueule?". Christiane écoutait sa belle-mère, les yeux ailleurs, consentante et soumise. "Tu ne vois pas qu'elle te bouffe, cette femme-là!" dit Daneille. "Quoi? Qu'est-ce que tu as? Qu'est-ce que tu as à ronchonner?". Laurent n'était pas content que Danielle l'interpelle de cette façon. Régine s'en aperçut et cria "Eh bien, qu'est-ce que tu as, tu n'es pas bien avec nous, Danielle? Laisse-toi vivre! Laisse-toi aller!". Danielle n'avait pas envie de faire l'amour avec Laurent, sinon elle lui aurait dit "Viens, allons sur la plage" et il aurait peut-être aimé ça. Mais il y a des moments où l'on a plus envie de tuer que de baiser et Danielle avait envie de tuer Régine. Celà lui montait tout le long du corps, depuis les chevilles, et celà lui vrillait les yeux, la faisait loucher et pâlir. Dans la lumière blâfarde de ce café merdique, elle haïssait la vie, l'amour et l'amitié. Laurent faisait la gueule, vexé que Régine ne fasse rire que lui, Christiane se voyait sans doute à Las Vegas, fausse blonde dans un faux film hollywoodien. Et Régine regarda Danielle et lui cria, dans son regard, dans ses gestes et dans son corps "Tu n'es pas de force à lutter. Et même s'il baise avec toi, il me reviendra dès que tu auras franchi le quai de la gare".

Sans doute est-ce ce soir-là que Laurent prononça la phrase fatidique. Il dit, serrant Danielle dans ses bras "Tu sais ce que Régine dit de nous?". Danielle ne répondit pas. Elle s'attendait au pire. Et il a continué, car la phrase se bousculait en lui et l'amusait beaucoup "Elle dit que nous deux, c'est une aventure touristique".

dimanche 7 septembre 2008

Danielle et Laurent (2)

Le vent s'était mis à souffler très fort, juste comme ils revenaient de Collioure. La tramontane. Elle sévissait depuis une semaine sur Saint Cyprien mais aujourd'hui elle s'accompagnait de tonnerre. Laurent avait décidé qu'il était trop tôt pour aller se coucher et qu'une promenade sur le port s'imposait. Mais la pluie, par rafales, se mit à tomber, balayant les palmiers. Plus question de courir sur le port. Danielle avait l'habitude. Au Havre, les tempêtes étaient fréquentes. Elle ne se précipitait pas sur la digue pour autant, comme les gens qui venaient voir se fracasser les vagues, mais elle aimait l'excitation de l'orage et la peur de mourir foudroyée. Le tonnerre, à Saint Cyprien, n'était pas bien méchant, et les éclairs se baladaient de droite à gauche, comme les essuie-glace d'une bagnole. Laurent la serrait de près en rigolant. Elle ne riait pas, comme un animal pris au piège, entre le chasseur et l'orage. Elle céderait au chasseur, bien entendu, même si la pluie commençait à refroidir son corps. Pourquoi appréhendait-elle tant de rester seule avec lui alors qu'il prenait manifestement du plaisir à lui faire l'amour? Cette nuit, il avait décidé de rester coucher avec elle. Pourquoi cette condescendance? Le vin, peut-être, ou alors ce chatouillement de l'orage, cet esprit machiste qui fait dire au mâle "Elle va avoir peur, toute seule dans le noir, il faut que je reste pour la protéger". Comme ils en avaient marre de baiser et dormir sur des lits jumeaux dont les lattes n'arrêtaient pas de disjoncter à chaque fois qu'ils remuaient un tant soit peu plus que d'habitude, ils jetèrent les lits de côté et installèrent les matelas par terre. Ce fut une nuit ordinaire, ni exotique, ni touristique. Une nuit de vent et de pluie. En tendant l'oreille, ils auraient pu entendre les palmiers se tordre dans la tempête. Danielle crut entendre Laurent ronfler, mais lorsqu'elle lui demanda le lendemain matin s'il avait bien dormi et qu'il lui répondit "Pas très bien" elle fut sceptique car la plupart des gens qui prétendent ne pas dormir la nuit sont ceux qui ronflent le plus pendant que leur partenaire écoute les mouches péter au plafond. Le vin blanc l'avait énervée, les gambas épicées lui étaient restées au travers de la gorge, mais elle se souviendrait longtemps de cette soirée à Collioure, de cette nuit chaude et mouillée, de ce serveur catalan aux cheveux longs, des yeux noirs de Laurent, de son besoin de le sentir sur elle beaucoup plus que de son envie de faire l'amour. Elle ne se décida à se réveiller que lorsque son tout dernier rêve fut de nature à lui procurer un état d'esprit acceptable pour une matinée qui s'annonçait d'une pluviosité exceptionnelle pour la saison.

Le vin lui donnait toujours la force de combattre ses idées noires lorsqu'elles se pointaient à l'horizon. Le vin plus que le whisky ou la vodka, d'ailleurs. Heureusement, elle avait un estomac en béton et elle pouvait boire différents vins d'affilée accompagnés de plats divers sans que son état de santé destabilise l'euphorie que lui procuraient les relents de l'ivresse. Elle n'en appréciait que davantage la grimace de Laurent qui la regardait boire en déclarant "Je n'aime pas les alcooliques" ou encore "Attention! Si tu es alcoolique, je te laisse tomber". Pourquoi débitait-il de telles âneries alors qu'un soir où ils rentraient justement de chez Régine, Danielle était tellement ivre qu'elle avait ôté ses vétements dans la rue et que Laurent la tenait contre lui et l'embrassait, très excité, au point qu'elle faillit se faire bouffer par le chien d'un vigile et que les allemands extasiés les applaudissaient du haut de leur balcon.

Au château des Rois Maures, à Perpignan, se trouvait un gitan qui chantait en s'accompagnant à la guitare. Etalé sur les pierres de l'entrée, il laissait sa voix résonner sous l'ampleur de la voûte. Son visage était large, son torse épais sur un ventre obèse, ses cheveux gris éparpillés et ses yeux, comme des trous clairs et perçants sous des paupières couleur de cendres, comme le maquillage d'une femme bourrée. Je l'écoutais, regardant les pieds polis d'une madone et quand il eut fini, je lui donnai une pièce. Il me réclama un billet. Même si j'avais eu un billet, je ne le lui aurais pas donné mais il chantait si bien que je lui donnai une seconde pièce. Il se plaignit alors de l'indifférence des touristes qui ne l'écoutaient pas, ne faisaient pas attention à lui. J'étais d'accord avec ce qu'il disait et longtemps après, en remontant les marches vers les jardins du palais, j'entendis résonner son chant barbare.

Journal de Danielle : dimanche 26 juin
Aujourd'hui dimanche, il a plu toute la journée. J'ai dormi et j'ai bouquiné. Je ne pouvais rien faire d'autre puisque je n'ai ni disques, ni télé, ni magnétoscope. J'ai voulu visionner le petit film que j'avais fait la veille sur Collioure, et j'ai vu défiler un flou artistique sur mon écran de contrôle. Que s'était-il passé? Pourtant, en filmant, je n'avais rien senti de suspect. Peut-être avais-je eu le tort, cependant, en fin de parcours, de confier le caméscope à Laurent pour qu'il me filme devant le château des Templiers. Comme il ne savait pas s'en servir, il est possible qu'il ait appuyé par mégarde sur un bouton d'effacement, ou quelque chose d'autre. Je ne peux pas lui en vouloir mais je ne sais pas si nous retournerons à Collioure cette semaine. Je voulais que nous montions à pied jusqu'au château, à travers les vignes, mais il ne s'en sentait pas le courage. Je lui ai dit "Tu bouffes trop et tu ne fais pas d'exercice". L'autre jour, j'ai dit à Isabelle "Laurent n'a que 38 ans. Il bouffe trop et il ne pratique aucun sport. Dans 5 ans, il sera obèse".

samedi 6 septembre 2008

Danielle et Laurent (1)

Ce n'est que lorsqu'ils furent assis en face l'un de l'autre, dans ce Tapas de Collioure où ils venaient pour la 2ème fois que Danielle put enfin dire à Laurent ce qu'elle pensait de la semaine qu'ils venaient de passer ensemble. "Celà fait 7 jours que tu m'emmènes régulièrement tous les soirs chez ton amie Régine. Je n'éprouve aucune sympathie pour elle et elle n'éprouve aucune sympathie pour moi". Laurent se mit à rire. Ses yeux noirs, ses cheveux noirs. Encore à l'instant, alors qu'ils s'étaient installés à 19h pour pouvoir traîner librement dans les rues de Collioure après le dîner, il lui avait dit "Si tu veux, lorsque nous serons sortis de table, tu pourras aller boire un verre de vodka chez Régine". Danielle frissonna de froid, de dégoût, de vin blanc. Le serveur catalan aux cheveux longs et soyeux plaisantait avec ses clients habituels. Danielle sentit la colère monter en elle. Elle savait qu'elle ne pourrait pas se contrôler. La colère allait monter et la submerger. Elle regardait Laurent, ses yeux noirs, ses cheveux noirs, et elle savait que dans quelques secondes elle lui dirait ses quatre vérités. Elle ne pourrait pas s'en empêcher. Et lui, il n'aimerait pas ça et il la quitterait. Dans un mois, dans un an, dans quinze jours. "Ma parole, tu vis à la colle avec elle. Pour une fois que nous sommes seuls tous les deux, tu ne peux pas t'empêcher de penser à elle". Danielle se souvint que la première fois où Laurent l'avait emmenée chez Régine, elle n'avait senti aucun courant passer entre elles. Ce fut malvenu et mal compris. "Je vais être obligée de la subir". Elle réclama un verre de vodka pour la contrer. "Si elle n'a pas de vodka, j'aurai trouvé une bonne raison de la haïr". Régine avait de la vodka. Elle servit deux verres de vodka à Danielle. Mais elles n'en devinrent pas amies pour autant.

Laurent la regarda de ses yeux noirs, la tête un peu penchée, dans le brouhaha de la petite salle qui se remplissait rapidement. Le propriétaire avait apposé une pancarte devant la porte de son restaurant "Prière de ne pas faire de bruit après minuit". "Je crois bien, lui dit Laurent, que tu me fais une crise de jalousie, et ce n'est pas pour me déplaire". Il souriait gentiment avec un petit air entendu, en dodelinant de la tête, les épaules un peu rentrées. Jalousie. Danielle rigolait intérieurement tout en maintenant élevé son verre de vin blanc jusqu'au niveau de son regard. Le regard sombre et moqueur de Laurent venait se heurter à la ligne fluide, à la fois trouble et transparente, du verre de vin qui le séparait des yeux verts de Danielle. Des yeux que les effluves de vin blanc, mêlées à une myopie naturelle, rendaient particulièrement attirants.

Je revois très bien la figure de Régine. C'était une figure de lune, à la façon de Meliès, une lune en carton pâte, boursouflée, une lune de pocharde au sourire mince, sans lèvres, aux yeux bouffis, bouffés par la chair trouble d'une graisse malsaine. Comme toutes les fausses blondes elle se décolorait à mort, entraînant dans son sillage la petite amie de son fils qui, pour paraître plus pâle encore, s'habillait de blanc comme les stars d'un Hollywood périmé, les Jean Harlow de l'avant guerre. Que pouvait-elle bien redouter? L'amour des hommes? La séduction d'une femme? Elle semblait vulgaire et cynique mais, sous ses dehors autoritaires, se cachait sans doute quelque blessure secrète que je n'eus, je l'assure, jamais envie d'élucider. De même que je ne me serais jamais permis de lancer à Laurent, d'un air faussement amusé "Est-ce que tu aimes Tennessee Williams?". Il m'aurait regardé d'un air un peu vexé avant de s'éclaircir la gorge pour me rétorquer "Qui c'est celui-là?". J'avais emporté, pour lire dans le train, "Les mémoires d'un nomade" de Paul Bowles. C'était un livre insignifiant. A la longue, tout le monde ressemblait à tout le monde, dans une indifférence générale, et chaque petit coup de pinceau excentrique se révélait d'une incomparable banalité. Pas un instant Bowles ne donnait la clé du problème et se gardait bien de préciser ses sentiments. Il voyageait, un point c'est tout. Mais personne n'était obligé d'embarquer avec lui. Pour ma part, je ne bougeais pas du quai de départ.

(à suivre)

jeudi 4 septembre 2008

Le Désert rouge

Giuliana (Monica Vitti) est restée traumatisée à la suite d'un accident de voiture. Elle traîne avec elle une déprime récurrente que l'environnement, dans lequel elle vit, ne fait que maintenir, voire accentuer. Son mari est industriel. Il travaille dans la zone pétrolière de Ravenne, en Italie du Nord. Les fumées des usines, les décharges des navires, la pollution des rivières sont le lot quotidien de son univers. Lorsqu'elle se promène, avec son jeune fils, ce n'est que pour parcourir des zones où le vert du paysage se mélange à la rouille et aux émanations des gaz toxiques. De la ville elle-même on ne verra que peu de choses, et surtout une rue vide où Giuliana voudrait ouvrir une boutique, pour s'occuper l'esprit et vendre des objets...mais quels objets? de la poterie? de la céramique? Elle avoue ne rien y connaître.
C'est alors qu'elle fait la connaissance de Corrado (Richard Harris), venu recruter des ouvriers pour une usine en Patagonie. Le premier regard que pose cet homme sur elle est révélateur : il la désire. Elle lui avouera que si son mari avait posé sur elle ce même regard, elle aurait pu se confier à lui après son accident. Mais c'est déjà trop tard, elle sait que Corrado ne restera pas. Il n'en a pas envie, il va de ville en ville, de pays en pays. Avec des amis, ils se retrouveront tous dans une cabane, sur le port, pour quelques instants de batifolage où les corps se mêleront sans se dévêtir, rapprochement presque mondain dans un univers quasi morbide où l'une des femmes avouera qu'elle a rompu avec son dernier amant parce qu'il gagnait moins d'argent qu'elle. Cynisme bourgeois dans un décor décadent de planches cassées et de poële usagé.
Giuliana ne peut surmonter ses angoisses. Elle a peur de tout : la puanteur des fumées d'usine, l'apparition des bâteaux dans le brouillard, la laideur du paysage... Vers la fin du film, lorsque son mari se sera absenté pour quelques jours, et que son fils fera semblant d'être paralysé des jambes pour attirer son attention, elle se réfugiera dans un conte idyllique : elle lui racontera la vision d'une plage de sable fin, entourée de rochers aux courbes reposantes, et d'une mer limpide où vont et viennent de jolis bâteaux et où se baigne une jolie jeune fille alors que retentit le chant mélodieux d'une invisible sirène. Découvrant alors que son fils n'est pas malade, elle ira se réfugier dans les bras de Corrado, dans sa chambre d'hôtel, mais cet épisode érotique ne sera qu'une illusion "Tu ne m'as pas aidée" lui dira-t-elle en le quittant.
Dans un décor sali par l'usure, près d'un bâteau russe à la passerelle rouillée, elle rendra compte de ses états d'âme à un marin incapable de traduire son langage.
Aujourd'hui, si l'on maîtrise mieux la pollution, si l'on se soucie plus de l'écologie et de l'environnement, les dangers se sont déplacés vers d'autres traumatismes : inondations, tornades, apparition de nouveaux cancers, fuites radioactives. Plus de quarante ans après (le film d'Antonioni date de 1964) Giuliana n'est pas la seule à se sentir perdue au milieu de ce désordre universel.

mercredi 3 septembre 2008

Tokyo - 20.09.76

C'est une histoire simple, une histoire de drames et de joies, comme il s'en passe aussi bien dans la vie que sur scène. A Tokyo, ce soir-là, Montserrat Caballé vient de chanter son premier air de l'opéra "Adrienne Lecouvreur", elle est célèbre avec, déjà, 20 ans de carrière derrière elle (La Bohème, à Bâle, en 1956). Très applaudie, elle attend la venue de Maurice de Saxe, dont elle est amoureuse. Le voilà! C'est le ténor catalan José Carreras. Il a 30 ans, il est jeune, il est beau. C'est Caballé qui l'a fait connaître, au Liceu de Barcelone, où il a chanté le petit rôle de Flavio, alors qu'elle interprétait La Norma. Ils se connaissent, elle est un peu sa grande soeur, et là, dans les bras l'un de l'autre, ils jouent les amants passionnés. Elle, avec sa maturité épanouie, et lui avec sa fougue encore juvénile.
Un peu plus de 10 ans après, en 1987, les médecins diagnostiqueront chez le ténor une leucémie aigue. Pendant plus d'un an il combattra la maladie. Après sa guérison il créa sa Fondation Internationale contre la Leucémie et, le 8 août 1988 il organisa un concert mémorable, dans les arènes de Vérone, avec les plus grands chanteurs et chanteuses de l'époque (dont, bien sûr La Caballé). Il apparut alors, aminci, souriant, avec ce regard fier des matadors qui ont connu l'enfer et qui veulent désormais mettre tous leurs talents au service d'une noble cause.
La suite, on la connaît, avec le fameux concert des trois ténors, à Rome, en 1990, et ses millions de télespectateurs. Aujourd'hui, alors que Montserrat Caballé a pris sa retraite, José Carreras chante toujours, parce que la musique est dans sa vie, et que sa vie lui est d'autant plus précieuse qu'il a failli la perdre, 20 ans plus tôt...

lundi 1 septembre 2008

La Rentrée

Voilà, elle est là, de nouveau : bruissante... La Rentrée.
Hier, dimanche, un ami me montre une photo. C'est un départ, dans le bureau d'une étude notariale. Il y a là une quinzaine de personnes, avec une majorité féminine. Il y a celui qui part, la cinquantaine, grand et mince, poivre et sel, et le petit jeune, craquant, souriant et rigolo, qui vient d'arriver. Ils ont tous des diplômes, ils sont tous compétents dans leur boulot.
Tous ces gens, ils se cotoient, 5 jours sur 7, ils se parlent, ils communiquent entre eux. Ils travaillent, sous l'autorité de notaires-associés.
J'ai demandé à mon ami s'il les connaissait vraiment? Il les connaît par bribes : les enfants de celle-ci, qui sont très durs; les problèmes de santé de cette autre, qui est souvent en arrêt de maladie... Le Quotidien, la Vie. On voit ça à la télé, en plus "copieux" parce qu'il faut tenir dans le raccourci du mélo, pour tenir en haleine. Il y a aussi les feuilletons, ceux qui durent par deux ou trois épisodes d'une heure et demie, parce que chacun de nous vit une feuilleton personnel, mais à la télé c'est du pur-jus-de-pomme, alors que dans la vie, la Vraie, ça s'étale jusqu'à la mort.
Des fois, on se souvient de tout, et puis des fois on a des pertes de mémoire. On se doute qu'on n'a qu'une vie, alors on ne veut pas la perdre, mais souvent on n'arrive pas à la contôler. A la télé, c'est plus facile, on regarde les autres s'agiter, ils sont payés pour ça. Au bureau, on doit rester dans le cadre, on n'a pas le droit de s'égarer, on doit se tenir bien droit sur sa chaise. Des fois, y en a un qui s'en va, et il y en une qui arrive, alors on se rassemble, dans une pièce, on boit un coup, on raconte des bêtises, et on prend des photos.
Dimanche, c'était la photo de l'étude notariale où travaille mon ami. Aujourd'hui, y a pas photo : c'est la rentrée. NA.