jeudi 20 août 2009

La (petite) vie de Marcel -69

Marcel termine l'année en beauté.
Lundi 12 novembre.
Claudine est allée à Londres le week-end dernier. Elle a vu Noureev dans "La belle au bois dormant" ("Il ne se cassait pas le cul" a-t-elle commenté) et elle a pris des places pour "Don Giovanni" et "La Forza del Destino" (14 et 15 décembre). Aujourd'hui, elle doit être à Paris pour la location de "Caterina Cornaro" avec La Caballé. Elle n'arrête pas, la chérie.
Hier, dimanche, ils ont reçu les trois Grâces : Bernard, Joel et Philippe. Ils voulaient aller voir Régine, à Criquetot, mais ils avaient oublié que c'était le 11 novembre et ils sont tombés sur un os : c'était fermé. Ils sont rentrés et ils ont bouffé comme des goinfres jusqu'à 20h30. Les deux jeunes picolaient et jactaient à qui mieux-mieux. Bernard y a été de sa petite histoire et leur a raconté le jour où il a annoncé à sa famille qu'il couchait avec des hommes. Son père s'est mis à chialer, son frère lui a dit : "J'aime mieux ça que si tu te droguais". Et puis un mec, qui avait été élevé avec lui, comme son frère en quelque sorte, bien foutu et tout, mais "pas du tout comme ça", un jour que Bernard était seul, plus tard évidemment, l'avait ramené, déshabillé, etc. Bernard était trop schlass pour se rendre compte de ce qui s'était passé exactement, mais il se souvient que le mec était à poil avec lui dans le plumard. Après, le mec s'est marié et a continué de fréquenter les filles. Il avait voulu avoir sa "petite émotion" avant de retrouver "le droit chemin".
Reçu lettre de Michel-Daniel, le petit militaire adoré. Marcel lui a répondu illico-presto-andiamo.
Lundi 26.
Hier soir, salle Pleyel, La Caballé était telle que sa légende l'a faite : sublime. Dès son premier grand air, la salle entière retenait son souffle, alors que la diva déployait le sien -presque sans limite. Ensuite, en coulisse, elle souriait, affable, signant les autographes avec une patience incroyable -tout le contraire de La Callas.
Le week-end précédent, ils l'avaient passé en partie chez CriCri, au "Bienvenue". "Pas mal, à condition de ne pas y être fourré tous les jours" avait commenté Claudine. Mais CriCri est plus cool que Germaine, plus féminine, plus mielleuse aussi et super-commerciale à sa façon. Elle préside, avec ses chiens, son chat blanc, et lance, de temps en temps, son fameux "Ah, la chaleur!" qui est repris en choeur par toutes les folles de l'établissement (surtout si un marin ou un docker vient s'égarer au comptoir).
Lundi 17 décembre.
Le temps passe vite, très vite.
Voyage à Londres, la semaine dernière. Covent Garden. Le public anglais est beaucoup moins bruyant que celui de Paris. Très belle prestation de Sherrill Milnes dans "La Forza del Destino". Beauté physique, prestance, et aigu magnifique. Acheté quelques disques chez Templar. Londres est une ville propre, avec de grandes places et de fort beaux jardins.
Reçu une nouvelle lettre de Michel-Daniel, maintenant à Paris, et un coup de fil de lui. Marcel était content.
Bilan de fin d'année.
Un garçon de 19 ans est décédé au mois de novembre. Claudine et Marcel le connaissaient peu. Il s'appelait P. et il est mort au volant de sa voiture, écrasé par un poids lourd au Havre. Bernard a prétendu qu'il avait trouvé là l'occasion de résoudre ses problèmes, et qu'il aurait volontairement jeté sa bagnole sous le camion. Depuis un mois seulement il fréquentait leur appartement et les accompagnait quelquefois le soir quand ils sortaient. La semaine d'avant sa mort, il les avait emmené prendre un pot à "La Marine" à Tancarville (où il avait travaillé). C'était un garçon de grandeur moyenne, très mince et très nerveux. Il parlait beaucoup, s'agitait énormément, et paraissait débordé, incapable peut-être de se contrôler.
Lundi 31 décembre.
Le midi, ils étaient invités par Bernard-Joel dans l'appartement que leur a prêté un ami à eux (un rugbyman). Joel faisait la gueule et Philippe (qui faisait la cuisine) avait plutôt envie de faire l'andouille que de faire à bouffer. Après le déjeuner, ils ont pris le café chez CriCri, au Bienvenue, et ils se sont séparés. Claudine et Marcel sont rentrés pour regarder La Traviata à la télé. Marcel s'est brusquement mis à chialer à la fin du second acte, lorsqu'Alfredo jette une bourse aux pieds de Violetta, alors ils sont sortis prendre l'air, et ils ont ramené Yvon, un étudiant de Rouen, venu au Havre pour souhaiter la bonne année à ses parents. Ils ont bavardé et écouté des disques jusqu'à minuit, heure à laquelle ils se sont séparés. La Traviata était terminée, Marcel ne pleurait plus et ils étaient heureux.

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