dimanche 16 août 2009

La (petite) vie de Marcel -67

Marcel se demande s'il n'est pas déjà "vieux jeu".
Lundi 3 septembre.
A 17 ans Marcel n'était pas un ange, mais il ne faisait pas encore l'amour. Il se branlait, il rêvait, et ça s'arrêtait là. Rien de comparable avec les deux minets que Bernard leur radine vendredi soir. L'un, Joel, blond à force de se faire des shampoings au thé, l'autre, Philippe, un mélange étonnant de hardiesse et de naïveté. Pas encore de poils sur le menton, mais un appêtit féroce pour la vodka et pour les slows. Tous les deux ont 17 ans. Le samedi midi ils viennent manger, et Bernard emmène tout le monde à la campagne. Philippe, qui a sifflé allégrement vermouth, vin blanc, vin rouge, champagne et whisky, a le coup de pompe et s'étale momentanément par terre (une heure après, il sera de nouveau en forme) tandis que Bernard et Joel tirent leur coup dans le maïs ("Dommage qu'on n'ait pas emporté l'appareil photo" fait remarquer Claudine). Dans le sous-bois, Philippe crêpe les cheveux de Joel. Celui-ci raconte : "Une fois je me suis pointé à la maison, les cheveux tout crêpés. Mon père a failli avoir une attaque. Il m'a dit : "Maintenant, tu n'as plus qu'à aller montrer ton cul sur le cours". J'ai failli lui répondre : "Mais c'est fait, papa!".
Le dimanche soir, ils reviennent bouffer, sans Philippe, parti à Rouen. Bernard, qui est tenté d'ouvrir une boîte, en pleine campagne, fait preuve de son réalisme habituel en décrétant :
"Moi, je serai le patron, Claudine sera à la caisse, Philippe et Joel feront les entraîneuses, et Marcel sera là pour faire payer le champagne aux vieux pleins de fric".
Tout le monde bat des mains, ravi pour son bon sens.
Jeudi 6.
Bien entendu, pas de nouvelles du faux-flic. Par contre Marcel a eu un coup de fil de son petit militaire, Michel-Daniel, et une lettre de Jean-Pierre. Celui-ci était en Angleterre depuis le 1er août.
Sur la place du Vieux-Marché, il se fait draguer par un type d'une trentaine d'année, M.B., qui l'emmène à l'Auberge, ouverte depuis peu. Dans la nuit, les tables mises, dans ce vieux décor luxueux, ont un aspect presque irréel. M.B. le fait monter dans une chambre abandonnée : "Tu es vicieux!" lui dit-il en le jetant sur un vieux matelas, posé à même le sol. Et il ajoute, après s'être défoulé : "La prochaine fois, je te fesserai et je te baiserai après!".
Vendredi 7.
En arrivant au bureau, il raconte son aventure à Léontine et à Sylvie (les Poiré sont en vacances depuis le 3). Elles se marrent. Il leur dit : "Ce soir, je me couche de bonne heure, je suis crevé" mais, à 15h30, coup de téléphone de M.B. Il repose le téléphone, vaincu, et leur dit : "Eh bien non, mes chéries, je vais encore être obligé de me coucher à minuit!". "Il en re-veut!" commente Léontine.
Lundi 10.
Le faux-flic, le mythomane, continue ses bourdes. Samedi soir, à Franklin, il prétend ne pas avoir reçu la deuxième lettre que Marcel lui a envoyée. Puis il lui dit : "C'est vrai que ton coiffeur ne t'a pas loupé!" en constatant combien ses cheveux sont courts. Or, c'était justement dans sa deuxième lettre qu'il lui signalait : "Tu vas avoir une surprise : je me suis fait couper les cheveux très courts".
Le week-end fut plutôt calme dans l'ensemble. Le meilleur souvenir qu'il en a gardé c'est dimanche, en fin d'après-midi, alors qu'ils revenaient en voiture de la plage, tous les quatre (Bernard, Joel, Claudine et lui). Pour sortir du parking, ils passent devant une rangée de types (5 ou 6) qui, assis sur un petit mur, regardent défiler les bagnoles. Beaux mâles, souriants, sans arrogance, ils répondent au grand sourire que Marcel leur fait par des signes amicaux. Celà le met dans une telle forme que, une fois rentré à la maison, il ne peut s'empêcher de faire une démonstration de strip-tease qui laisse Bernard pantelant. Il s'écrie : "Si jamais j'ouvre une boîte, je t'engage!" et Joel le regarde, bouche-bée.
Il a revu M.B. à l'Auberge jeudi soir, qui lui a présenté sa femme, Annette, jeune, blonde et obèse. L'espace d'un instant, il s'est cru dans l'univers de James Hadley Chase, cotoyant le fric et le vice.
Samedi 22.
Il est allé voir "La Traviata" version Béjart. Seul, hélas, Claudine travaillant. C'était d'ailleurs elle qui s'était rendue à Paris pour lui chercher une place. Sans se soucier des critiques qui prétendaient que Béjart ne respectait pas Verdi, et que ses solistes n'étaient pas de vrais chanteurs d'opéra, Marcel a beaucoup aimé la mise en scène. Vivante, fourmillante d'inventions. Il ne les a pas toutes comprises, mais il ne devait pas être le seul. La fameuse scène de la réception chez Flora, où Violetta est l'enjeu des turpitudes bourgeoises de ses admirateurs, déchaina un enthousiasme indescriptible de la part du public. Derrière lui, une spectatrice se plaignait du prix des places (50F). L'homme qui l'accompagnait s'est alors écrié : "Cher? Pas si cher que ça! Cet après-midi, tu as bien dépensé pour plus de 50F de conneries!".
Lundi 24.
Tandis que Claudine, qui devait être à Londres, est restée bloquée à Dieppe, Marcel téléphone à Jean-François de Caen, pour avoir de ses nouvelles. Intuition ou coup de pot? Ce qu'il attendait est arrivé : il s'est séparé de Denis. Prudemment, il lui demande : "As-tu un nouvel ami?". Non, il n'en a pas. Et il l'invite à venir un week-end. Le téléphone reposé, Marcel sourit. Il ne retournera peut-être pas à Caen, mais il est content tout de même.

Aucun commentaire: