mercredi 16 juillet 2008

Les Rescapés (suite)

Première Partie (suite) : Suzy
Suzy se remit du rouge à lèvres, et se regarda longuement dans la glace. Elle attendait Juju, son nouvel ami de la capitale, qu'elle avait rencontré lors d'une exposition dans le hall de l'hôtel de ville. Il n'était pas très beau, mais il avait beaucoup d'humour. Elle avait fait l'amour avec lui, d'une façon assez rapide, et si elle n'avait pas apprécié qu'il se mit à gueuler au moment du coït, elle s'était mise à fonder des espoirs sur sa gouaille et sa débrouillardise. Il venait de rompre, depuis quelques mois, avec une pharmacienne qui s'astreignait à la peinture. Elle avait eu la chance de pouvoir exposer quelques toiles dans le hall de cet hôtel de ville où ils s'étaient rencontrés. Suzy s'était montré charmante, empressée, redoutant toutefois le moment où il se montrerait résolument entreprenant. Elle détestait la fellation. Elle acceptait l'accouplement comme une suite logique à une exploitation réciproque de toute relation suivie et sérieuse, mais elle refusait les petites compensations qui minent la sentimentalité inhérente à l'entente. Juju avait ce charme fou de parler sans vraiment réfléchir, et qui lui convenait. Elle voulait l'emmener avec elle en vacances, car elle redoutait terriblement de se retrouver seule avec Joelle.
Suzy n'aimait pas faire la cuisine. Elle voulait emmener Juju au restaurant. Elle avait entendu parler du Diplomat, un endroit assez chic qui conviendrait parfaitement à l'exubérance de Juju. Mais Juju ne venait pas, et Suzy ne supportait pas d'attendre. Elle en profita pour téléphoner à son amie Jacqueline. Jacqueline habitait à la campagne, avec son mari Alfonso, dans un petit pavillon qu'ils avaient acheté pour trois fois rien et que l'entreprise d'Alfonso avait fait restaurer. Jacqueline était une femme toujours alerte, mais qui s'angoissait pour un rien. Justement, aujourd'hui, elle ne parvenait pas à comprendre pourquoi son mari était parti sur un chantier, dans une petite ville de province, alors que son planning ne mentionnait aucuns travaux prévus à cette date. Aussi accueillit-elle le coup de fil de Suzy comme une bénédiction. "Pas question, lui dit-elle, que tu ailles au restaurant avec ton ami. Venez à la maison, je vous ferai des crêpes Suzette, comme tu les aimes tant!" et elle rit, elle rit, d'un rire contagieux qui la faisait rire elle-même. Suzy raccrocha et se demanda pourquoi son amie s'était mise à rire d'une façon aussi exagérée. Mais elle trouva l'invitation plutôt plaisante. Elle observerait l'attitude de Juju devant son amie, et celà lui servirait de prélude à ses vacances à trois avec Joelle.
Si Alfonso aimait restaurer les maisons, Jacqueline aimait peaufiner son jardin. Elle aurait pu parler sans arrêt des différentes sortes de roses qu'elle faisait prospérer de chaque côté des allées ensoleillées qui délimitaient sa maison. Elle se doutait parfaitement que personne ne l'écoutait lorsqu'elle évoquait les laborieux travaux que son père lui avait enseignés lorsqu'elle piétinait à ses côtés, dans la maison familiale où il passait de longues journées à émailler sa solitude sentimentale en élaborant de savants assemblages de graines et de semis particulièrement élogieux.
Suzy s'impatientait, désirant avant tout se retrouver tous les trois à table, sous la tonnelle, pour pouvoir mettre en valeur le bavardage affûté de Juju, savamment épicé de sa connaissance des démélés politiques et culturels de la capitale. Mais rien ne se passa comme elle l'avait prévu.
L'apparition du chien de Jacqueline perturba fortement l'équilibre psychique de Juju, déjà démantelé par l'absorption de deux boissons alcoolisées. Il se mit alors à déblatérer, concentrant toute son attention sur l'étalage des défauts qu'il s'était mis en tête de détecter dans l'attitude, le mode de vie et l'apparence physique de Suzy, cherchant à la désorienter devant la passivité de Jacqueline. Lentement, phrase après phrase, Suzy comprit que son rêve de vacances idylliques s'envolait en fumée. Elle ne protesta pas, elle encaissa.
Juju ne travaillait plus. Il était à la retraite, depuis peu. Grâce à ses relations il s'était constitué un petit réseau de copines, de la capitale jusqu'à la province la plus reculée, où habitaient ses parents. Durant un certain laps de temps, Suzy s'était imaginée qu'elle serait la seule. Elle se croyait primordiale dans certains domaines. Elle avait du charme, de l'entrain, et elle se connaissait sexuellement. La première visite de Juju fut euphorique. Il apprécia (ou du moins celà le fit rire) son bordel organisé, ses pulls jetés l'un sur l'autre dans un semblant d'harmonie, et ses portes ouvertes sur des débarras organisés. Et puis elle lui rendit la pareille, elle se rendit chez lui. Mais il n'habitait pas vraiment la capitale. Elle trouva le chemin trop long, elle se retrouva dans une sorte de banlieue chic assez prospère, où il avait acheté un appartement au dernier étage d'un immeuble dont l'ascenseur devenait une obligation. Le rangement, la propreté la suffoquèrent. Juju compensait l'aseptisation de son environnement par un érotisme débridé. Ses cris, ses gloussements, ses emphases brutales pendant l'acte sexuel la dérangeaient. En un mot, elle n'apprécia pas. Mais il l'emmena dans des endroits qui la déridèrent : des bistrots, des expositions, et lui fit rencontrer des amis qui avaient de l'esprit, à défaut d'avoir de la personnalité.
La façon dont il se comporta devant Jacqueline lui fit rendre les armes. Il avait accumulé tant de rancoeur vis-à-vis d'elle, sans doute à cause de son manque de répondant sexuel, qu'il se mit à exhiber avec brutalité son besoin de la ravaler. Elle sut plus tard, au fil de contacts qu'il essaya de renouer avec elle, qu'il lui avait préféré, depuis le début, une partenaire qui habitait près de ses parents, ce qui lui permettait de faire d'une pierre deux coups : rendre visite à ses vieux et satisfaire ses besoins sexuels sans avoir besoin de se taper un kilomètrage exorbitant.

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