mardi 29 juillet 2008

le Conte, la Folie, et l'Ordinaire

Charles Bukowski (1920-1994) est connu en France pour son passage dans l'émission de Pivot, en 1978, où il marmonna et but beaucoup avant de se faire virer, ce qui lui donna, définitivement, l'étiquette d'écrivain-culte, et d'appartenance à une Beat-Generation dont il se foutait éperdûment.
En 1981 Marco Ferreri tourna "Conte de la Folie Ordinaire" d'après le bouquin de Bukowski. Le film est meilleur que le livre, recueil de nouvelles scabreuses qui racontent d'une façon souvent drôlatique les tribulations de l'auteur, entre beuveries incessantes et rencontres de personnages tous plus pittoresques les uns que les autres (prostituées, travestis, piliers de bar....) dans un langage frénétique et corrosif.
Sur l'écran, les deux personnages principaux sont joués par Ben Gazzara et Ornella Muti. L'un boit sans arrêt, et l'autre ne pense qu'à s'auto-mutiler. Mais ils ont tous les deux des visages d'anges. Plus tard, dans "Barfly", autre adaptation, Barbet Schroeder fera jouer Mickey Rourke et Faye Dunaway, et ce sera beaucoup moins convaincant parce que beaucoup plus "hollywoodien". Hollywood n'a rien à voir avec l'univers de Bukowski.
Marco Ferreri, cinéaste franco-italien, décrit parfaitement la crasse et la pureté. Il n'enjolive pas. Même dans les scénarios les plus crades, les américains cherchent à enjoliver. Dans "Seven", David Fincher rendait le vomi recyclable.
Aujourd'hui, tous les jours, des centaines de gens meurent, dans des attentats, des accidents, des explosions ou dans des réglements de compte familiaux sordidement répétés, mais ils sont rapidement rejetés au profit de la vie des célébrités, du glamour et du show-biz.
Sur la couverture du prochain Vanity Fair : "Carla Bruni : the new Jackie O ?". Les photos sont de la grande Annie Leibovitz. J'avais vu un reportage sur cette illustre photographe et sa façon de travailler. Je crois que c'était à propos d'une série concernant Demi Moore. Nous autres, pauvres mortels, nous croyons qu'avec nos petits appareils rikikis et super-perfectionnés nous n'avons besoin que de 5 minutes pour faire une série de portraits dont nous garderons les meilleurs éléments pour le plaisir de nos échanges Internet. Eh bien non, les professionnels ne bossent pas comme ça. Dans le reportage, on voyait une horde d'assistants, d'appareils, d'éclairages, de maquilleurs, et surtout : l'attente. L'attente de la lumière, de l'éclairage, de la pose adéquate. Un boulot de pro, loin de notre amateurisme goguenard.

dimanche 27 juillet 2008

Les Rescapés (suite)

Deuxième Partie : Joelle
Le conflit n'avait duré que quelques jours, mais il avait multiplié les ravages. De tous côtés, conscients de leurs faiblesses, humiliés dans leur arrogance de victoires définitives qui n'avaient abouties qu'à de sordides destructions, les technocrates de la nouvelle génération se mirent en branle, se relayant jour et nuit pour envisager, élaborer et concrétiser des stratégies sophistiquées de renouveaux utopiques et de rajeunissements planétaires.
Finies les jolies plages de sable fin avec les petites amazones aux doigts de fée manucurés. Les touristes avaient été priés de regagner leur domicile et de se procurer le matériel élémentaire pour la survie de leur espèce.
Joelle se leva et marcha lentement vers la terrasse. Tout autour d'elle, des portraits grand format de sa beauté vieillissante ornaient les murs. Elle regarda longuement la piscine qui miroitait à ses pieds. Tout en bas, dans le grand atelier qui avait été construit spécialement pour lui, Marc, son mari, travaillait avec son personnel sur les plans et la maquette du palais du nouveau président.
Elle n'avait aucune envie d'aller lui dire bonjour. Elle préférait se rendre dans les appartements privés de son petit-fils, Sabuni, qu'elle avait réussi à sauver, après la mort de sa fille.
"Tu m'es apparu comme une déesse antique, lui avait dit Sabuni, comme la fille du créateur. Dans ces ruines qui m'entouraient, tu étais la seule à me tendre la main, pour me relever, pour que j'atteigne ta hauteur. Je t'en serai reconnaissant toute ma vie, et je t'honorerai jusqu'à ma mort".
Le jeune homme avait l'enthousiasme de ses 16 ans, mais plus que jamais, après l'engloutissement de V***, il ressentait l'exaltation d'un jeune dieu, prédestiné par de lointains ancêtres, a être l'incarnation d'une détermination, qui n'avait rien à voir avec l'Amour ou la Haine, mais qui remontait bien plus loin, jusqu'à cette colère mythique qu'il avait lue dans les textes anciens et qui le dynamisait au-delà du possible. Il se pensait invulnérable, il en avait l'assurance et il ne pouvait plus en douter.
"Mère!" s'écria-t-il lorsqu'elle entra dans ses appartements. Elle aimait qu'il l'appelât "Mère". Elle savait qu'il travaillait, lui aussi, pour le président, mais elle ne se mêlait pas de ses travaux, elle percevait seulement un au-delà presque surnaturel qui lui échappait mais dont elle appréciait l'effet bienfaiteur sur elle-même, car depuis qu'ils s'étaient retrouvés, elle ne faisait plus les cauchemars qui lui avaient rendu la vie si difficile.
Lentement, pas à pas, Sabuni lui dévoilait quelques secrets. Il la sentait réticente, mais non fermée à ses projets. Elle avait seulement le vertige lorsqu'il lui rendait compte de toutes les stratégies qu'il proposait au président afin de restructurer une planète que les conflits avaient asphyxiée et réduite à l'état de zombie désarticulé.
Pourtant, il ne pouvait aller jusqu'au bout de son désir de lui faire partager tout ce qu'il ressentait. Il en souffrait car il aurait voulu qu'elle soit le tout auquel il aspirait : sa complice, son amie, sa mère. Elle se débattait encore dans des contradictions qu'il ne comprenait pas et qui faisaient obstacle à la perfection d'une entente dont il avait besoin car elle était la seule, l'unique. Il le savait, il le ressentait : aucune autre femme ne pourrait lui apporter la plénitude qu'il lui fallait absolument pour s'accomplir tout à fait.
Joelle sortit rassérénée des appartements de son "fils". Elle ne voulait plus entendre parler d'intermédiaires, de cette fille qu'elle aurait eu et qui lui aurait donné cet enfant. Elle se sentait mère absolue.
En remontant le long de la piscine, elle sourit aux trois jeunes filles qui s'ébattaient dans l'eau. Marc les appelait "ses trois Grâces". Il aimait s'entourer de gamines pour travailler. Leurs mouvements grâcieux dans l'eau claire lui rafraichissaient l'esprit, encombré par tous les plans compliqués que lui réclamait son travail. Elle le trouva en contrebas du salon, en train de dessiner et de peindre, mais elle n'alla pas lui parler. A peine s'était-elle rendu compte que son dessin n'était plus aussi précis qu'auparavant. Peut-être s'était-il remis à boire, peut-être avait-il la sensation que son avenir était incertain et qu'il pouvait tomber en disgrâce d'un jour à l'autre. Il leva les yeux vers elle, mais elle avait déjà disparu. Il ratura le dessin qu'il venait de commencer. Ses cheveux s'étaient blanchis et raréfiés. Son allure n'était plus aussi assurée. Il ne tremblait pas encore mais il se savait sur la pente d'un déclin inéxorable. Il n'avait plus aucune nouvelle des siens et il avait peur de se renseigner. Dans cette maison qu'il avait construite il se surprenait à se croire en otage. Il ne sortait presque plus, il ne voulait pas voir la ville. Lui qui avait tant voyagé, tant souri devant des monuments bizarres ou incongrus, tant bâti de maisons dans ses rêves d'adolescent , il se retrouvait enfermé dans son ultime accomplissement, comme au fond d'un tombeau qu'il aurait pris soin de rendre incontournable.
Il avait eu quelquefois l'envie d'en finir, mais un espoir confus le maintenait en équilibre, un espoir qui certainement le décevrait s'il s'accomplissait, mais qui constituait une infime poussière d'illusion. Il se leva, faillit se verser un verre d'alcool mais les trois filles dans la piscine l'en dissuadèrent. Elles riaient en s'aspergeant d'eau. Il s'approcha pour mieux les voir. Il aurait pu se jeter au milieu d'elles, mais aucune pensée érotique ne l'habitait. Il marcha le long de la piscine, les regarda, leur fit des petits signes amicaux avant de remonter vers le salon. Il aimait encore Joelle, mais elle lui échappait. Il l'avait sans doute adulée mais il devait bien reconnaître aujourd'hui qu'il n'avait entretenu qu'une image. Il l'avait voulue dans ses peintures, dans ses dessins, mais la femme se dérobait. Il entra dans sa chambre, s'assit devant sa table à dessin. Machinalement, il déplia quelques feuillets. Des murs, des salles immenses, des escaliers... des prisons, encore des prisons. L'envie d'alcool lui barra l'estomac, mais il résista un instant. D'une main presque tremblante il ouvrit le petit tiroir de son secrétaire. Lentement, comme pour un cérémonial d'église, il prit son petit calepin de cuir noir et l'ouvrit. La photo de Suzy, avec sa bouche rouge et ses boucles dorées lui fit monter les larmes aux yeux. Son château de sable sembla s'enliser et il ressentit vraiment le vide qui l'oppressait.

Salomé

C'est l'histoire d'une gamine (Salomé) qui est convoitée par son beau-papa (Hérode) mais qui est protégée par sa mère (Hérodiade).
Ca se passe il y a très, très longtemps.
Le beau-papa a fait emprisonner un prophète (Jochanaan) parce qu'il racontait (entre autres) des horreurs sur sa femme. Celle-ci voudrait bien le faire zigouiller. Mais le mari a la trouille. Il est superstitieux et il a peur des retombées prophétiques.
Or voilà que la gamine se met à faire la danse du ventre et des sept péchés capitaux devant toute une assemblée de notables, pour l'anniversaire du beau-papa. Celui-ci est sidéré d'admiration, au point de lui promettre la moitié de son royaume devant l'assemblée des convives.
Salomé est perplexe : elle a déjà tout ce qu'elle désire, et le royaume de son beau-père, elle s'en bat les sept voiles. Alors elle va demander conseil à sa maman qui s'écrie "La tête du prophète !!!". Ouais, super ! Et sur un plateau d'argent, svp !
Dans l'opéra de Richard Strauss (d'après Oscar Wilde) la gamine voulait seulement "baiser la bouche" de Jochanaan. Mais le prophète avait des principes. Enchaîné, en haillons, mal rasé, il ne voulait pas succomber à la "fille de Babylone". Il en a perdu la tête.
Moralité : il ne faut pas toujours faire confiance aux filles qui demandent conseil à leurs mères, elles ont parfois des idées malveillantes....

mercredi 23 juillet 2008

Les Rescapés (suite)

Fin de la Première Partie : Joelle et Suzy.
Joelle étira ses jambes. La place était immense. L'orchestre jouait des valses. La chaleur n'était pas encore installée mais les rideaux étaient tirés devant les vitrines les plus exposées. Il y avait une espèce d'insouciance vaguement passive dans l'attitude des gens qui déambulaient sur les dalles encombrées de pigeons. Ils entraient et sortaient de la basilique, se dirigeaient vers la mer et puis ils revenaient, s'asseyaient aux nombreuses tables de cafés, se levaient et se dispersaient dans les ruelles mal éclairées.
Joelle suivait leur va-et-vient avec indifférence, elle était délivrée de Rémy et elle pouvait penser à Georges, sans avoir besoin de se justifier. Le savoir loin d'elle, dans un pays étranger où se déroulaient des "combats" lui plaisait. Elle le croyait impuissant, et cette idée, qui s'imposait de plus en plus à elle, accentuait la force de ses sentiments, de cette aura romanesque qui lui permettait de se débarrasser du sexe dont elle n'avait jamais reconnu l'imposition.
Tout près d'elle se trouvaient Marc et Suzy, qui sirotaient des boissons différentes. Marc avait 56 ans, elle venait de l'apprendre. C'était donc l'architecte dont Suzy lui avait parlé. Oui, elle lui trouvait de l'élégance. Il savait s'habiller, se coiffer, et ils formaient un couple acceptable, mais elle ne voulait pas s'intégrer, elle voulait garder ses distances et ne pas encourager leur intimité pour conserver l'orientation de ses pensées, la pleine intensité de sa romance avec le seul homme qui lui paraissait convenable
L'embarcation s'arrêta juste à leurs pieds. "Vous êtes une femme remarquable" lui dit Marc en l'aidant à monter. "Suzy est bien plus belle que moi" répliqua-t-elle. Elle portait une robe noire, aux minces bretelles, et très décolletée. Suzy avait de beaux cheveux blonds, des seins attirants, et une bouche très rouge. Elle s'était soigneusement maquillée ce matin, dans sa chambre d'hôtel, en vue d'une promenade d'agrément dans les îles. "Vous êtes mes deux divinités" dit Marc en les fixant, assises l'une près de l'autre en face de lui, alors que le bâteau s'ébrouait. Joelle laissa son regard dériver sur les vagues, tandis que la ville commençait à s'éloigner, mirage de palais et d'églises que le soleil faisait miroiter comme autant de mosaiques morcelées. A travers la transparence hallucinante de l'eau verte, elle voyait des profondeurs troublantes qui la confortaient dans son état d'esprit, exalté et morbide.
Au dîner, dans un restaurant sur la place de l'Hôpital, Marc leur expliqua longuement le point de vue de l'architecte concernant les désordres répétés qui menaçaient l'équilibre de l'univers. Joelle trouva celà ennuyeux et factice, alors que Suzy s'exaltait de nouveau, comme lorsqu'il s'était présenté dans le magasin, la première fois qu'elle l'avait vu, avec cet air raffiné et cynique qu'elle avait fortement apprécié. Peut-être était-ce à cause de cette robe blanche qu'elle portait, et qui se détachait dans la nuit, sur cette place vide où seuls deux restaurants restaient ouverts, remplis d'étrangers qui contrastaient bruyamment avec la façade rigide de l'Hôpital et la sinuosité des petits canaux aux reflets glauques. Mais Joelle ne pouvait pas être impartiale vis-à-vis de Marc. Elle avait rêvé cette nuit que sa mère revenait la hanter. La vieille femme, avec ses cheveux noirs tirés en arrière, et sa blouse tendue sur sa jupe plissée, la houspillait dans son sommeil "Tu es sale, tu es désordonnée. Tu ne seras jamais une bonne mère!". Elle frissonna et se replia sur elle-même. Elle n'aurait pas dû garder sa robe noire, elle aurait dû se changer pour dîner. Elle avait froid, elle était mal à l'aise. Suzy était superbe avec sa blondeur et sa robe blanche, et même Marc, dans son insignifiance naturelle, paraissait beau avec son costume et ses bijoux discrets qui luisaient doucement dans la nuit. Elle grimaça "Jamais je ne serai heureuse" et vit Georges, au fond du canal, qui lui sourait, le corps troué mais le regard aimant.
Le couloir de l'hôtel était tapissé de grandes glaces et Suzy crut un instant que Marc avait fait exprès de le choisir ainsi. "Tu es un obsédé" lui dit-elle. Il eut un mince sourire "On traîne toujours ses bagages avec soi" fit-il d'un air énigmatique. Il l'enlaça, elle se cabra contre lui, la tête en arrière. "Je vais dire bonsoir à Joelle, dit-il, et je reviens". Elle avait ouvert la bouche. Elle se détendit lentement tandis qu'il la détachait de son corps. Ils étaient seuls dans le couloir, avec les glaces et la lumière tamisée. Marc recula et la fixa "Tu es très belle" dit-il. Il lui fit un petit signe de la main et s'éloigna.
Joelle était restée en bas, dans la nuit, devant l'hôtel. Elle n'avait plus froid, maintenant. Elle s'apercevait combien les rues étaient vides, toutes les rues, qui se croisaient et s'emmêlaient, ne laissant s'échapper que les quelques étrangers encore perdus, qui recherchaient leur hôtel et qui reprenaient la même errance en espérant enfin pouvoir se repérer. Elle n'entendit pas Marc arriver derrière elle mais elle ne sursauta pas quand il lui prit le bras. "Qu'avez-vous pensé de cette première nuit à V***?" lui souffla-t-il à l'oreille. Elle sentit son parfum et elle ne répondit pas. Ils montèrent l'escalier et, dans le couloir de nouveau désert, il l'arrêta devant sa porte. Le lourd tapis étouffait tous les bruits. "Tout à l'heure, dit-il, dans le bâteau, j'ai un peu menti : vous êtes ma seule déesse". Elle lui fit le sourire qu'elle faisait à tout le monde, au simple passant comme au général bardé de médailles "Vous êtes notre ange gardien" dit-elle, et elle le repoussa doucement au moment où il allait l'embrasser sur la bouche. "A demain matin" dit-elle en entrant dans sa chambre. Il hésita, mais ce n'est que la porte fermée qu'il émit un "Bonne nuit" quelque peu dépité.
Joelle se regarda dans la glace. Une de ses mèches était défaite. La fenêtre de sa chambre était restée ouverte sur la nuit. Elle ne voulait pas se coucher. Elle appréhendait le retour de sa mère, dans ces cycles cauchemardesques qui n'en finissaient pas de se nourrir d'eux-mêmes. Mais comment ressortir maintenant sans être ridicule? Sur la place, en dessous, d'autres étrangers s'étaient réunis et finissaient par rire de cette ville étrange qui les rejetait de ruelles en ruelles, de canaux en canaux. Elle se rassura. Elle remit sa mèche en place et descendit.
Lorsque Marc entra dans la chambre, il vit que toutes les lumières étaient éteintes. Il voulut allumer mais Suzy, d'une voix très douce, lui demanda de n'en rien faire. Les deux fenêtres étaient ouvertes. Celle du balcon donnait sur les bâteaux endormis qui clapotaient au rythme de l'eau trouble. Marc se dénuda et s'avança vers le lit. Il vit le reflet de son corps dans la glace monumentale et il se dit que c'était mieux ainsi, sans la lumière surannée des lustres fabriqués dans l'île toute proche. Il entrevit Suzy, étendue sur le lit. Dans cette étrangeté soudaine, la glace du plafond se mit à refléter les vagues du canal sur le corps de sa maîtresse, et il la prit pour une sirène. Il eut un rire étouffé et se mit à bander en montant sur le lit, pour s'allonger près d'elle.
Joelle ne s'éloigna pas de l'hôtel. Elle ne pouvait pas partager la joie des étrangers, elle était seule. Elle s'arrêta sur le petit pont et se pencha légèrement. Dans cette opacité elle voulait croire encore à son utilité. Elle voulait croire que Georges lui reviendrait, même amputé, même défiguré. Et puis elle se réconcilierait avec sa propre fille. N'était-elle pas grand-mère? N'avait-elle pas un petit-fils qui devait avoir 15 ans, maintenant, et qui était beau comme le soleil? N'y avait-il donc pas d'espoir dans cette vie de merde? Elle fut heureuse que personne ne la vit, ici, accoudée à ce pont, avec les larmes qui lui baignaient les joues. Elle ne supporterait plus que sa mère vienne l'insulter dans son sommeil, elle reprendrait sa vie en mains et elle se ferait un restant d'avenir rempli de joies humaines.

mardi 22 juillet 2008

Infamous

De tout temps, l'étiquette a représenté le summum du bon goût en matière de comportement humain.
Non pas celle qu'il faut respecter dans les salons mondains, mais celle que l'on plaque sur le front de la victime idéale, qui servira de bouc émissaire en cas de litige ou de contestation.
Dans le domaine très prisé du "people" elle est particulièrement commode pour attribuer à l'autre les accusations dont on ne voudrait pas faire l'objet.
C'est ainsi que, en vrac, Michael Jackson serait le roi des Pédophiles, Britney Spears la reine des Désaxées et Tom Cruise le roi des Scientologues. En France, c'est surtout dans le domaine politique que les étiquettes font la loi. Très récemment, on a vu le président de la République se faire traiter de roi des Nains, et, hier, le fringant Jack Lang de roi des Traitres.
Dans un pays qui se veut anti-discriminatoire, ce tremplin de la connerie reflète bien la pollution qui sévit dans les recoins de la planète.

lundi 21 juillet 2008

Les Rescapés (suite)

Première Partie (suite) : Joelle
Le colis, dont Rémy lui avait parlé au téléphone et qu'il devait aller chercher à la gare, était un homme. Un bel homme, ma foi, et qui se prénommait Georges. Grand et fort, les cheveux bruns, et bien habillé. Exactement comme elle les aimait.
En arrivant à M*** elle découvrit une ville quelconque dont les balcons n'étaient même pas fleuris. La villa de Rémy n'était pas en construction, mais en réparation. Une fois de plus, Joelle n'avait pas fait attention aux mots eux-mêmes, mais elle avait seulement survolé les phrases.
Juste au moment où une chanteuse surestimée se lamentait sur le sort d'une ville de l'ancien Orient, Georges s'empara de la vie de Joelle.
La maison, dans la banlieue de M***, surplombait légèrement le bourg, que des inondations récentes avaient détérioré, et se présentait comme une suite de petites pièces, petits couloirs, petits placards, petites chambres, en état de rénovation. Seul le jardin, très bien planté, intéressait Georges qui avait la manie de ponctuer toutes ses phrases d'un sempiternel "Tu vois ce que je veux dire".
Plus ou moins reporter, plus ou moins journaliste, il prétendait avoir connu des personnalités dont la fréquentation se limitait à l'intimité d'une entrevue programmée par le journal qui l'employait. Joelle l'écoutait parler sans mot dire, un peu admirative, un peu interloquée, car il buvait et fumait presque autant qu'il parlait. Sous ses airs démonstratifs et son élocution communicative pointait quelquefois, au hasard d'un bref silence, une écrasante solitude. Alors ne restait plus dans la pièce qu'une abominable odeur de tabac froid.
La soirée fut magnifique. A partir du jardin enrichi de lumières colorées, la vue s'étendait jusqu'aux montagnes avoisinantes, toujours couvertes de brume ou de nuages épais. Joelle sirotait son île flottante en écoutant la voix bien tempérée de Georges qui planait dans la nuit comme un chant bienheureux des Mille et une Nuits, annonçant les prévisions de tous les prophètes du monde, leurs révélations et leur complicité dans l'anéantissement de ce monde incertain. Elle se laissait bercer, voyant dans les cheveux épais de cet homme un signe de bonne santé que l'excès de tabac ne pouvait affecter. Et dans la pénombre qui les submergeait, sa peau paraissait s'assombrir davantage, comme un sultan qui lui aurait ouvert la voie d'un au-delà inhabituel.
Rémy les observait, tout au fond du salon. Leur silhouette se découpait dans l'ouverture de la porte-fenêtre. Il rangeait machinalement les derniers achats de vaisselle qu'il avait acquis le matin même au marché du village. Il paraissait bouffi, à la lumière vague de la nuit peu éclairée. Il voyait, dans l'île flottante que sirotait Joelle, comme une petite lampe allumée, faible espoir d'un amour qui ne lui était peut-être pas interdit. Soudain, Georges se leva et traversa le salon pour aller aux toilettes. Son visage rayonnait. Il fit un grand geste amical vers Rémy et s'écria avec emphase : "Musique, Maestro!". Le visage de Rémy se crispa. Il alluma le vieil électrophone et sortit un vieux 33 tours, dont il avait ramené toute une collection de l'ancien appartement de sa mère.
L'orchestre de chambre attaqua le morceau avec une vraie joie de vivre. Joelle écouta vaguement en laissant ses lèvres goûter aux derniers excès de son île flottante. Et puis, lentement, dans la nuit et dans la solitude, le violon éleva sa voix languissante. Elle sentit son corps se tendre et se raidir. Elle voulut tourner la tête vers le salon mais son corps ne lui obéit pas. Elle ne pouvait pas se tromper : elle avait entendu ce morceau de musique le soir-même où elle s'était rendue au concert de cette abbaye campagnarde....Il ne pouvait pas s'agir d'un effet du hasard. Elle revoyait les cheveux longs du violoniste, son air complétement intégré aux émotions de son archet. Elle reposa lentement son verre vide sur la table du jardin. Elle voulait s'en aller.
Georges réapparut. Il s'assit vivement. Avant même d'allumer une autre cigarette il lui saisit la main "Tu as froid?" dit-il. Elle dit, sans relever la tête "Je suis très fatiguée". "Je comprends, dit-il. Je vais te conduire à ta chambre". Ils se levèrent. En passant dans le salon elle vit Rémy, comme une statue. Ses cheveux blancs, son embompoint, tout lui parut insensé, mais lorsqu'elle s'approcha de lui il posa doucement sa main sur son épaule "Bonne nuit, ma chérie" dit-il. Georges la précéda dans un escalier provisoire et s'arrêta devant une porte. "Voilà ta chambre" dit-il. Il la serra contre lui "Je repars demain, ajouta-t-il. Je dois aller sur le front des combats. Des combats, tu comprends?". Non, elle ne comprenait pas. "Tu vois ce que je veux dire?" insista-t-il. Elle hocha la tête sans rien dire. Il l'embrassa brusquement, collant sa bouche sur la sienne. Il était grand, il était fort. Mais il ne bandait pas.
Joelle repoussa sa tasse vide. Elle avait besoin de parler. Le soleil inondait la terrasse au-dessus du jardin. La maison derrière elle semblait plus grande, maintenant que le jour l'éclairait, mais les pièces conservaient leur aspect négligé. "Pourquoi as-tu mis cette musique, hier soir?" dit-elle à Rémy. Il se figea. Un instant, elle lut sur son visage toutes sortes d'émotions. "J'ai pensé que ça te ferait plaisir : souviens-toi, c'était le soir de notre première rencontre..." - "Je sais, coupa-t-elle. Je m'en rappelle très bien". Elle s'était réveillée en sursaut cette nuit : le gitan et le violoniste s'étaient confondus dans son rêve. Mêmes cheveux mi-longs, même teint basané. Mais le gitan jouait du violon avec la bouche ensanglantée. Les sanglots l'avaient étouffée. Sans doute Rémy l'avait entendue, dans la pièce à côté, mais il n'était pas venu la consoler. Il aurait pu la prendre dans ses bras, elle se serait laissé aller.
Ils s'étaient revus plusieurs fois, après le concert. La mère de Rémy avait même voulu les accoupler. Elle trouvait Joelle distinguée, féminine, et elle ne pouvait pas lui reprocher d'être trop maquillée, se servant elle-même de tous les artifices pour se conserver un semblant de beauté. Concernant les prétendants, Joelle ne choisissait que suivant des critères bien définis : celui-ci était mal rasé, celui-là n'avait pas de cheveux et cet autre ne savait pas s'habiller. Après la mort de sa mère, Rémy avait hérité d'un bon capital, et puis il avait réussi à vendre chèrement l'appartement qu'elle occupait au bord de la mer.
"Je ne comprends pas, dit-elle vivement, pourquoi tu as décidé d'acheter cette baraque, dans un coin aussi pourri!". Il eut un petit rire. "Je n'ai jamais pensé à mon avenir, répliqua-t-il. Je n'ai commencé à travailler qu'à 40 ans, après la mort de mon père. Et chaque année, après le 1er janvier, ma mère m'apostrophait : J'espère que cette année, tu vas enfin faire quelque chose de ta vie!" et il ajouta "Avec cette baraque j'en ai pour deux ans de travaux. Et quand ce sera fini, je la revendrai pour acheter une autre merde. J'ai toujours vécu dans le luxe, dans des meubles d'époque qui plaisaient à ma mère mais qui me faisaient chier. J'ai toujours admiré mes copains qui vivaient dans des deux-pièces cradingues. Mon père détestait le désordre!".
Et de nouveau Joelle voulut partir. Elle ne se sentait plus à l'aise nulle part. Sa soeur allait bientôt mourir d'un cancer, elle n'avait plus aucune nouvelle de sa fille depuis que celle-ci avait accouché d'un garçon, et elle avait vécu une idylle terrible avec l'ingénieur en chef de l'entreprise où elle avait travaillé. Tout nouvel incident potentiel lui paraissait insurmontable.
Son téléphone sonna, elle le prit d'une main agitée. "Je ne sais pas ce qui se passe, dit Suzy, mais tout ce que nous entendons autour de nous nous fait croire à de nouveaux désastres. Marc et moi nous partons pour V***. Viens avec nous. Marc dit que c'est le seul endroit où nous pourrons encore jouir de la beauté et de la liberté". Rapidement, d'une voix enfiévrée, Suzy lui donna ses coordonnées "Tu trouveras facilement, lui dit-elle avec une sorte de rage contenue, c'est une maison merdique, dans un bled merdique. Venez vite, je vous attends". Rémy la regarda, les bras ballants. Il avait vraiment l'air consterné. Et puis il soupira "Tu as peut-être raison. Je connais bien V***, c'est une ville qui semble indestructible!" mais Joelle, dans son exaltation, vit une ville en ruines, aux palais éclatés et, sortant des décombres, un Georges échappé de l'Enfer, qui la saisissait dans ses bras, grand et beau, blessé et impuissant.

Crumb Me

Robert Crumb donne un entretien dans le Nouvel Obs.
Il en ressort qu'à 65 ans, le maître de la BD passionné de filles fortes et de mecs plutôt obsédés, aime toujours les 78 tours et se méfie des techniques modernes.
"Le sexe et la vieille musique sont deux des meilleures choses de la vie" livre-t-il dans l'hebdomadaire en question. En ajoutant "Je suis totalement largué par la technologie numérique".
Difficile de ne pas lui donner raison lorsqu'on voit, par exemple, à quelle vitesse les téléphones portables se font une concurrence acharnée, livrant toutes les semaines de nouveaux modèles avec de plus en plus de variations susceptibles de nous aider à faussement communiquer avec des interlocuteurs qui, en fait, n'existent que dans notre obstination à vouloir les interpeler pour leur faire croire que nous leur sommes indispensables.
Mais Crumb demeure ce petit génie qui obsède les adolescents lorsqu'ils frottent, dans le huis-clos de leur chambre secrète, la lampe magique pour exaucer quelques désirs que la société rejette. Et ces filles plantureuses, qu'il transcende dans ses dessins, ont plus de sensualité que la vulgarité des femmes nues exposées tous les jours sur le NET.

samedi 19 juillet 2008

Les Rescapés (suite)

Première Partie (suite) : Suzy
La perspective des vacances avec Joelle se rapprochait, et Suzy ne savait pas très bien comment faire. Elle n'était pas du genre à paniquer, comme son amie, mais elle ne voulait pas lâchement se désister. Son métier de serveuse lui avait appris à tenir la distance. Lorsque Marc se présenta à elle et lui demanda "un parfum très cher" pour sa femme, elle crut à une blague. Il n'était pas très grand, il était maigre, les cheveux déjà blancs, la cinquantaine, des mains sveltes, et quelques bijoux rares, mais précieux. Très rapidement, du fait même de son expérience de vendeuse attitrée, elle sut qu'il l'avait repérée. Sans hésiter, elle ne lui proposa pas divers échantillons, mais elle lui présenta un parfum qui n'était pas des plus onéreux mais qui avait l'avantage de se réfléchir dans une boule hypersophistiquée. Il l'accepta sans faire de remarques. Il souriait, d'une façon à la fois bienveillante et cynique, et il lui proposa de dîner le soir-même avec lui. Elle refusa avec une rapidité qui le séduit. Il n'eut pas la grossiéreté de lui donner sa carte et elle apprécia qu'il n'insista pas. Elle savait qu'elle le reverrait très vite.
Suzy n'était pas sentimentale, mais après l'échec de Juju, elle pensa qu'elle devait se montrer plus compréhensible. Elle appréhendait plus facilement les défauts des hommes que leurs qualités, ce qui la mettait souvent en position de mésalliance. Lorsque Juju réapparut, avec des fleurs et un sourire navré, elle sut qu'il venait de rompre avec la personne qui lui apportait le plus de commodités. Fugacement, elle pensa qu'elle se retrouvait n°1 dans la liste de ses conquêtes, mais elle n'en tira aucune satisfaction. "Non, je ne suis pas comme ça". Avant même qu'il ne commençât à se trémousser et à chercher le prétexte convenable pour son retour en grâce, elle lui fit comprendre qu'elle avait renouvelé sa garde-robe et qu'elle ne tenait pas à remettre des vêtements qui ne convenaient plus à son état d'esprit. Elle lui rendit ses fleurs et ne le remercia pas de lui avoir tenu quelque temps compagnie.
Quand Marc lui téléphona, elle pensa qu'il avait fait un enquête auprès de la Direction pour obtenir ses coordonnées, et celà la mit en colère. Mais très vite, le sentiment de vide qui l'avait envahie après le départ de Juju, la contraignit à reculer dans son indignation. Même si le physique de Marc ne l'attirait pas outre mesure, il pouvait lui permettre de sortir de cette routine qui commençait à s'insinuer dans sa vie et qu'elle considérait comme la pire des anomalies.
Elle accepta de dîner avec lui.
Elle ne prit pas d'apéritif.
Elle vit très vite qu'il avait du mal à ne pas parler de lui. Elle savait que le moment viendrait où elle devrait l'encourager, mais elle préférait cet instant où l'on peut encore envisager toutes les possibilités avant que le couperet ne retombe, libérant les sujets habituels : travail pénible, rémunérations complémentaires, enfants cachés et femmes dissimulées à l'arrière d'un 4x4... Elle allait provoquer la phrase fatidique "Je vous en prie, Marc, je suis impatiente de vous connaître mieux!" en mettant gentiment sa main sur sa main étalée sur la table, lorsqu'un grand blond s'interposa. Il s'appelait Guy et il prétendait de ne pas avoir vu Marc depuis de longues années. Il insista pour avoir la permission de partager leur table. Marc sembla hésiter mais Suzy, intriguée, accepta. Marc céda et l'homme s'installa. Il parla avec assurance, regardant tantôt l'un, tantôt l'autre. Il n'avait pas besoin de faire étalage de sa richesse, sa prestation y suffisait. Il avait pris un soin méticuleux à choisir une monture de lunettes dont la finesse extrème ne faisait qu'accentuer le bleu glacial de son iris. La petite chaîne qu'il portait autour du cou et la bague aux contours ciselés qui ornait l'un de ses doigts manucuré confirmaient son allure à la fois distinguée et maniaque.
Il parla d'une île qu'il venait d'acheter quelque part dans un océan, et du peu de temps qu'il pouvait consacrer à une vie normale, ce qui justifiait à ses yeux son manque d'assiduité envers les nombreux amis qu'il avait dans le monde.
La nuit était tombée depuis longtemps, Marc avait cessé de parler et dormait bruyamment. Suzy ne dormait pas. Elle avait bien voulu aller chez lui et lui céder, et maintenant elle essayait d'imaginer ce qui se serait passé si elle avait accepté l'invitation de Guy de venir le rejoindre à l'hôtel. Elle avait cru comprendre qu'il achetait des maisons et qu'il en revendait d'autres, jusqu'à cette île perdue dans l'océan. Elle le supposait entretenir son corps avec tous les moyens que l'argent peut vous procurer sans avoir besoin de s'occuper assidûment du relevé de ses comptes bancaires. Elle se leva pour aller aux toilettes et elle fut stupéfaite du nombre de glaces grand format qui tapissaient les pièces et les couloirs de l'appartement. Il y en avait même une dans les chiottes. Au moment de s'asseoir sur la lunette elle paniqua d'une façon intense : y en avait-il une au plafond de la chambre à coucher? Elle n'avait rien remarqué en entrant, vaguement perturbée par la similitude des deux hommes dans leur comportement élitiste, et la façon dont ils auraient pu se passer le relais pour la conduire dans leur plumard. A cette seule différence que Marc ne lui paraissait plus beau du tout.
Au pétit déjeuner, elle le trouva carrément moche.

vendredi 18 juillet 2008

NIP and FRIC

Si le succès d'une série télévisuelle est proportionnelle à la qualité de ses "guests stars", alors la 4ème saison de "Nip / Tuck" vaut son pesant de cacahuètes :
Jacqueline Bisset, Larry Hagman (le méchant de Dallas), Brooke Shields et, cerise sur le gâteau, Catherine Deneuve...
Je ne dévoilerai pas ce que ces illustres acteurs viennent faire dans la "plastic-surgery" clinique des docteurs McNamara and Troy. Pour ceux qui sont déjà familiers de la série, ils devineront aisément qu'ils n'apparaissent pas pour déguster une tasse de thé en parlant gentiment du réchauffement de la planète.
Je dirai seulement que "Sex and the City", comparée à "Nip/Tuck" est un modèle de galanterie, de glamour et de bonne humeur. Le quatuor des jeunes femmes New-Yorkaises est un régal de mots d'esprit, de rencontres épicées et cocasses qui renvoie aux vestiaires le duo Sean/Christian qui, plus que jamais, accumulent les situations scabreuses où le fric et le sexe le plus cynique n'ont d'égaux que leurs tronches coincées de faux sex-symboles.
A bon voyeur, salut!

jeudi 17 juillet 2008

Les Rescapés (suite)

Première Partie (suite) : Joelle
Joelle ne pouvait pas rester à l'hôtel de La Plage. Elle sortit son carnet d'adresses et chercha une personne à appeler pour se trouver une excuse de partir de cette ville qui ne lui plaisait pas : sa soeur était malade, ses parents étaient morts, son dernier amant s'était remarié, ses anciennes copines de travail ne pensaient plus à elle depuis longtemps... Elle se souvint tout d'un coup que Rémy faisait construire dans la région. Elle chercha longuement. Elle confondait souvent les noms, elle ne retenait que certaines familiarités avec des consonnances entendues autrefois dans les chansons qui avaient marquées son enfance. Par exemple, elle avait toujours cru à la phrase "Et dans ce décor, Banane a pleuré" alors qu'il s'agissait de "Et dans ce décor banal à pleurer". De fait, elle ne s'était jamais demandé pour quelle raison Banane s'était mis à pleurer dans un décor pareil, parce que, tout le temps, autour d'elle, les autres gamins disaient souvent "Va donc, hé Banane!". La confusion restait acceptable, de même que la ville où Rémy avait fait construire pouvait très bien s'appeler Marsan-Marseillan ou encore Marsupiaux. Tout espoir restait permis, dans la mesure du raisonnable...
Elle téléphona à Rémy, qui se fit une joie de la savoir dans les parages. Il viendrait la chercher dans la soirée, ayant, dit-il "un colis à récupérer à la gare". Comme pour les associations de mots, elle s'imagina ne pas avoir compris le sens de la phrase, mais elle prit le parti de ne rien envisager avant de se trouver en face de l'intéressé.
Rémy lui avait couru après pendant un certain temps, mais elle ne lui avait jamais cédé. Elle se méfiait de sa façon de vivre. Il travaillait dans une Industrie de Pointe, mais d'une façon extrémement libre. Il ne se levait jamais avant 10h, et traînait tard le soir, entre repas fins et fausse bombance. Assez laid, plutôt gros, il pouvait être généreux avec la personne qui l'adoptait, ou très pingre avec des êtres qui le méprisaient au départ, avant de lui demander de l'aide par la suite. Elle l'avait rencontré un soir de concert, dans une abbaye campagnarde. Elle était alors amoureuse d'un violoniste rencontré dans un bar musical où elle s'était laissée entraîner par son amie Georgette, exubérante femme "du monde" qui n' avait pas encore eu le temps d'en faire le tour. Le violoniste aux cheveux longs, à l'air bohème, lui était apparu comme un dieu, un messie bien vivant venu pour la séduire sous l'impulsion de son archet. Dès qu'il porta les yeux sur elle, elle lui sourit. Conquis, sans doute, ou attendri, par communication mélodieuse, il lui donna rendez-vous au concert de l'abbaye campagnarde. Joelle serra sur son coeur le petit carton d'invitation, et sourit à la ronde, refusant de finir la soirée avec Georgette pour garder dans ses yeux le souvenir flamboyant du bohème aux cheveux longs et au violon souverain.
Elle alla au concert, métamorphosée en déesse. Quand elle le retrouva, en coulisses, elle le trouva accaparé par d'insurmontables problèmes. Il regardait sans voir, assis sur une caisse en bois, son violon inutile, le visage défait. Elle ne comprit pas qu'il ne pouvait plus quitter sa musique et qu'elle l'importunait. Elle recula jusqu'à s'en trouver mal, affreusement gênée, mortifiée à l'idée qu'il n'arrivait pas à la considérer comme décidée à entrer dans son monde. Elle alla jusqu'au bar, étourdie, monstrueusement belle sous son maquillage et ses habits de Belle au Bois dormant. Toutes ces conversations autour d'elle bourdonnaient comme un mauvais concert, une farce d'improvisation sur de méchants violons, sérénades à deux sous dont elle se sentait étrangère. Elle tituba. Un homme admiratif la soutint et la présenta à sa mère. La vieille femme souriait, et ses bijoux luisaient dans la lumière blafarde de la salle de concert. Joelle vit un homme bouffi, attentionné, et une femme ridée qui la considérait avec une aménité sincère. Elle accepta le verre que Rémy lui offrit, mais refusa leur aide lorsqu'ils voulurent la raccompagner. Au moment de monter dans sa voiture, Rémy lui remit une carte qu'elle enfouit rapidement tout au fond de son sac bordé de perles. La nuit les entourait, avec ses vagues lumières signalant quelques villes lointaines.
Peu de temps après, la mère de Rémy décéda, et Rémy hérita.

le succès d'un couple

Callas pouvait-elle épouser Onassis? Du moins l'espérait-elle, d'après ce que l'on a écrit...
John et Jackie Kennedy, le couple idéal jusqu'à la tragédie et l'annonce des infidélités du mari.
Grace et le Prince. L'actrice s'effaça, pensant sans doute avoir donné avec Hitchcock la quintessence de son talent.
Tous ces couples reflétaient l'air du temps, l'air de LEUR temps.
Le succès du couple Sarkozy vient de son étonnante diversité.
Catherine Deneuve s'enorgueillissait d'avoir représenté la France, sous les traits de Marianne, tout en ayant eu deux enfants en dehors des liens du mariage. Autre temps, autres moeurs?
Carla Bruni, en épousant Nicolas Sarkozy, épouse un homme politique mais n'épouse pas forcément la politique de son mari. Voilà qui lui donne un certain droit à l'indépendance, et qui renforce son caractère "insaisissable".
Ils ont eu tous les deux des enfants de liaisons différentes. Elle chante l'amour et il serre les mains des puissants de ce monde, pas toujours recommandables. Par sa distanciation, elle garde son mystère, et elle renforce le sien.
Ils peuvent agacer, énerver, ou fortement impressionner, ils sont, qu'on le veuille ou non, le nouveau couple du 21ème siècle.

mercredi 16 juillet 2008

Les Rescapés (suite)

Première Partie (suite) : Suzy
Suzy se remit du rouge à lèvres, et se regarda longuement dans la glace. Elle attendait Juju, son nouvel ami de la capitale, qu'elle avait rencontré lors d'une exposition dans le hall de l'hôtel de ville. Il n'était pas très beau, mais il avait beaucoup d'humour. Elle avait fait l'amour avec lui, d'une façon assez rapide, et si elle n'avait pas apprécié qu'il se mit à gueuler au moment du coït, elle s'était mise à fonder des espoirs sur sa gouaille et sa débrouillardise. Il venait de rompre, depuis quelques mois, avec une pharmacienne qui s'astreignait à la peinture. Elle avait eu la chance de pouvoir exposer quelques toiles dans le hall de cet hôtel de ville où ils s'étaient rencontrés. Suzy s'était montré charmante, empressée, redoutant toutefois le moment où il se montrerait résolument entreprenant. Elle détestait la fellation. Elle acceptait l'accouplement comme une suite logique à une exploitation réciproque de toute relation suivie et sérieuse, mais elle refusait les petites compensations qui minent la sentimentalité inhérente à l'entente. Juju avait ce charme fou de parler sans vraiment réfléchir, et qui lui convenait. Elle voulait l'emmener avec elle en vacances, car elle redoutait terriblement de se retrouver seule avec Joelle.
Suzy n'aimait pas faire la cuisine. Elle voulait emmener Juju au restaurant. Elle avait entendu parler du Diplomat, un endroit assez chic qui conviendrait parfaitement à l'exubérance de Juju. Mais Juju ne venait pas, et Suzy ne supportait pas d'attendre. Elle en profita pour téléphoner à son amie Jacqueline. Jacqueline habitait à la campagne, avec son mari Alfonso, dans un petit pavillon qu'ils avaient acheté pour trois fois rien et que l'entreprise d'Alfonso avait fait restaurer. Jacqueline était une femme toujours alerte, mais qui s'angoissait pour un rien. Justement, aujourd'hui, elle ne parvenait pas à comprendre pourquoi son mari était parti sur un chantier, dans une petite ville de province, alors que son planning ne mentionnait aucuns travaux prévus à cette date. Aussi accueillit-elle le coup de fil de Suzy comme une bénédiction. "Pas question, lui dit-elle, que tu ailles au restaurant avec ton ami. Venez à la maison, je vous ferai des crêpes Suzette, comme tu les aimes tant!" et elle rit, elle rit, d'un rire contagieux qui la faisait rire elle-même. Suzy raccrocha et se demanda pourquoi son amie s'était mise à rire d'une façon aussi exagérée. Mais elle trouva l'invitation plutôt plaisante. Elle observerait l'attitude de Juju devant son amie, et celà lui servirait de prélude à ses vacances à trois avec Joelle.
Si Alfonso aimait restaurer les maisons, Jacqueline aimait peaufiner son jardin. Elle aurait pu parler sans arrêt des différentes sortes de roses qu'elle faisait prospérer de chaque côté des allées ensoleillées qui délimitaient sa maison. Elle se doutait parfaitement que personne ne l'écoutait lorsqu'elle évoquait les laborieux travaux que son père lui avait enseignés lorsqu'elle piétinait à ses côtés, dans la maison familiale où il passait de longues journées à émailler sa solitude sentimentale en élaborant de savants assemblages de graines et de semis particulièrement élogieux.
Suzy s'impatientait, désirant avant tout se retrouver tous les trois à table, sous la tonnelle, pour pouvoir mettre en valeur le bavardage affûté de Juju, savamment épicé de sa connaissance des démélés politiques et culturels de la capitale. Mais rien ne se passa comme elle l'avait prévu.
L'apparition du chien de Jacqueline perturba fortement l'équilibre psychique de Juju, déjà démantelé par l'absorption de deux boissons alcoolisées. Il se mit alors à déblatérer, concentrant toute son attention sur l'étalage des défauts qu'il s'était mis en tête de détecter dans l'attitude, le mode de vie et l'apparence physique de Suzy, cherchant à la désorienter devant la passivité de Jacqueline. Lentement, phrase après phrase, Suzy comprit que son rêve de vacances idylliques s'envolait en fumée. Elle ne protesta pas, elle encaissa.
Juju ne travaillait plus. Il était à la retraite, depuis peu. Grâce à ses relations il s'était constitué un petit réseau de copines, de la capitale jusqu'à la province la plus reculée, où habitaient ses parents. Durant un certain laps de temps, Suzy s'était imaginée qu'elle serait la seule. Elle se croyait primordiale dans certains domaines. Elle avait du charme, de l'entrain, et elle se connaissait sexuellement. La première visite de Juju fut euphorique. Il apprécia (ou du moins celà le fit rire) son bordel organisé, ses pulls jetés l'un sur l'autre dans un semblant d'harmonie, et ses portes ouvertes sur des débarras organisés. Et puis elle lui rendit la pareille, elle se rendit chez lui. Mais il n'habitait pas vraiment la capitale. Elle trouva le chemin trop long, elle se retrouva dans une sorte de banlieue chic assez prospère, où il avait acheté un appartement au dernier étage d'un immeuble dont l'ascenseur devenait une obligation. Le rangement, la propreté la suffoquèrent. Juju compensait l'aseptisation de son environnement par un érotisme débridé. Ses cris, ses gloussements, ses emphases brutales pendant l'acte sexuel la dérangeaient. En un mot, elle n'apprécia pas. Mais il l'emmena dans des endroits qui la déridèrent : des bistrots, des expositions, et lui fit rencontrer des amis qui avaient de l'esprit, à défaut d'avoir de la personnalité.
La façon dont il se comporta devant Jacqueline lui fit rendre les armes. Il avait accumulé tant de rancoeur vis-à-vis d'elle, sans doute à cause de son manque de répondant sexuel, qu'il se mit à exhiber avec brutalité son besoin de la ravaler. Elle sut plus tard, au fil de contacts qu'il essaya de renouer avec elle, qu'il lui avait préféré, depuis le début, une partenaire qui habitait près de ses parents, ce qui lui permettait de faire d'une pierre deux coups : rendre visite à ses vieux et satisfaire ses besoins sexuels sans avoir besoin de se taper un kilomètrage exorbitant.

mardi 15 juillet 2008

Trilogie CAPOTE

Les faits sont connus, mais sans doute oubliés : 15.11.59 - les Clutter (le père, la mère, la fille 16 ans et le fils 17 ans) sont assassinés, la nuit, dans leur bâtisse, isolée, à Holcomb (Texas).
A la lecture de l'article, paru dans le New Yorker, Truman Capote est intrigué. Auteur connu (il a publié en 1958 Petit Déjeuner chez Tiffany) et amuseur caustique des soirées mondaines, il décide d'aller voir là-bas, pour écrire un article au sujet du crime. Il part avec sa copine et amie d'enfance, Nelle Harper Lee. Très vite, avant même que les deux coupables soient arrêtés, il voit dans cette affaire l'occasion d'appréhender le sujet sous un jour différent des lectures de faits-divers habituels. Il veut écrire un "roman de non-fiction". Sa conviction est renforcée par l'apparition des accusés, deux hommes qui, à peine sortis de prison, avaient envisagés de voler les Clutter, pensant qu'ils possédaient chez eux un coffre rempli de dollars, mais aussi de les assassiner, de sang-froid, pour ne pas laisser de témoins.
In cold Blood, ce sera donc le titre du roman que Capote fera publier en 1966, et qui obtiendra un énorme succès.
Dès 1967, Richard Brooks décide de réaliser un film d'après le bouquin de Capote. En noir et blanc, avec, dès les premières images, la musique de Quincy Jones, qui donne le ton. Noir et Mélancolique. Le plus curieux, c'est que Capote n'apparaîtra jamais sur l'écran, pas une seule fois (alors qu'il fut presque tout le temps sur place, durant les 5 ans que dura l'emprisonnement des deux hommes). Donc, le bouquin, ok, mais pas l'auteur en personne!
En fait, Brooks s'attache surtout à la personnalité des deux meurtriers, leurs parcours assez chaotiques, leur fuite et leur comportement en prison. Les deux acteurs, Robert Blake et Scott Wilson, sont prodigieux (Scott Wilson jouera par la suite un extraordinaire gangster dans "Pas d'orchidées pour Miss Blandish" de Robert Aldrich -1971).
Les deux accusés, Perry Smith et Dick Hickock, ont été exécutés par pendaison en avril 1965. Et voilà que, 40 ans après, sortent deux nouveaux films, mais cette fois-ci centrés sur l'auteur du roman, et sur ses relations équivoques avec l'un des voyous, l'inquiétant Perry Smith.
Le premier film, Capote, de Bennett Miller, est l'occasion de redécouvrir le fabuleux Philip Seymour Hoffman, dans ce qui sera sa plus importante caractérisation d'un personnage à l'écran. Tout y est : l'humour, la sensibilité, la cupidité artistique. Grâce à ses relations, l'auteur pourra avoir un accès privilégié avec les deux assassins, dans leur prison, afin de glaner le plus d'informations possibles pour la rédaction de son bouquin. Si Dick Hickock ne se fait pas prier pour parler, Perry Smith est d'autant plus réticent qu'il est plus perturbé par les démons qui le hantent (échecs répétitifs, mère alcoolique, douleurs physiques permanentes dues à une blessure à la jambe pendant la guerre de Corée). Face à lui, Capote se remémore ses propres errances lorsqu'il habitait l'Alabama et que sa mère l'abandonnait. Devinrent-ils amants en prison? C'est ce que laisse entendre le deuxième film, Infamous, de Doug Mc Grath. Il faut dire aussi que Perry Smith n'y est autre que Daniel Craig, le James Bond de Casino Royale! Pour ceux qui s'étonneraient de retrouver 007 dans le rôle d'un petit malfrat emprisonné, il faut se souvenir que le beau Craig fut déjà l'amant de Francis Bacon dans le génial Love is the Devil, de John Maybury....
Dans ce second film, Infamous, Capote est incarné par Toby Jones, qui ne démérite pas face à son prédécesseur, mais qui évolue dans un contexte beaucoup plus extravagant, avec stars à foison (G. Paltrow, S. Weaver, I. Rossellini, P. Bogdanovich) et décors roses-bonbons.
Cette trilogie semble donc refermer définitivement le rapport trouble entre le crime et l'exploitation romanesque de son exécution. Il reste cependant à expliquer pourquoi et comment Truman Capote ne devait jamais se remettre psychologiquement du choc de cette escapade de 5 années au fin fond du Texas puisque, après le succès de son livre, qui lui assura l'aisance et la reconnaissance du monde entier, il connut des périodes de doutes et de dépressions qui lui ôtèrent aussi bien son humour que ses amis mondains et son goût de l'écriture. Un quatrième film, alors? Mais pas dans 40 ans, j'espère!

lundi 14 juillet 2008

Les Rescapés

Première Partie : Joelle
La plupart des gens sur la plage étaient quelconques. Les plages naturistes recyclent les insoumis aux canons des beautés établis. Mais Joelle s'en moquait. Elle n'aimait pas les plages normales. Elle n'arrivait jamais à trouver un maillot de bain qui lui convenait. Et puis au moins, sur une plage naturiste, elle n'avait pas besoin de se mettre en valeur. Pourtant, elle regrettait vraiment que Suzy ne soit pas venue avec elle. Suzy aurait dû venir la rejoindre à l'hôtel de La Plage. Mais elle avait téléphoné, alors même que Joelle défaisait ses valises dans sa chambre d'hôtel, pour lui signaler qu'elle avait rencontré un architecte, et qu'elle était obligée d'annuler son voyage.
Joelle ne connaissait pas d'architecte.
Joelle avait eu une aventure rapide avec un ingénieur en chef de l'entreprise où elle avait travaillé, mais elle aurait préféré que ce soit un architecte, comme celui de "L'Avventura" qui avait profondément obsédé ses pensées lorsqu'elle avait vu le film pour la première fois. Suzy était plus blonde que la plupart des blondes, et ses lèvres étaient plus rouges que le rouge à lèvres de toutes les stars de cinéma. Elle avait du punch et elle savait séduire. Joelle souriait tout le temps, à tout le monde, mais elle ne faisait pas de conquêtes.
Toute la plage naturiste était en émoi. Un homme, avec un sexe d'homme et des seins de femme, suscitait l'attraction, attirant à lui les regards et les commérages. Joelle le reluquait du coin de l'oeil. Elle écoutait les conversations autour d'elle, sans y participer. Les avis étaient partagés, mais presque tout le monde s'accordait à supposer qu'il s'agissait bien d'un homme dont on avait artificiellement développé la poitrine. Ses seins étaient bien proportionnés, bien galbés et bien suspendus. Son corps était imberbe, son visage agréable, et ses parties sexuelles bien équilibrées. Il était accompagné d'un homme, plutôt métis, que les autres appelaient "son impresario", car les gens supposaient qu'il s'agissait d'un artiste qui devait donner des représentations dans les cabarets de la capitale et de la province.
Joelle avait failli éclater en sanglots lorsqu'elle avait appris que Suzy ne viendrait pas. Elle se faisait beaucoup d'illusions sur les personnes qu'elle cotoyait. Elle reprit un verre de vin rouge à la terrasse du café. La plage, doucement, somnolait. Les derniers naturistes s'éclipsaient, traînant tout leur matériel avec eux. L'homme aux seins de femme s'était envolé dans la nature, et Joelle ne voulait plus entendre parler de lui. Dans sa myopie, accentuée par l'effet du vin, elle surveillait bizarrement les étranges sourires que lui adressait un gitan, au bout du bar, encadré par la porte-fenêtre restée grande ouverte. Il lui semblait que son corps était plus petit que la normale, mais lorsqu'il se leva pour aller lui parler, elle le trouva d'un physique agréable : petit, certes, mais la peau tannée et les cheveux mi-longs. Et lorsqu'il lui proposa de lui payer un autre verre de vin, elle faillit de nouveau éclater en sanglots : pourquoi Suzy n'était pas là? Elle au moins aurait su quoi répondre : un sourire de sa jolie bouche trop rouge, et le gitan se serait assis en face d'elle, complétement séduit.
Joelle refusa. Son sourire était mièvre. Elle ne se sentait pas capable d'assurer ce genre de rencontre. L'homme lui parlait gentiment, elle le crut baraqué, du fait de ses épaules, mais certainement parce qu'il se penchait légèrement vers elle. Elle voulut payer mais il l'en empêcha et, debout, elle se sentit soudain très raide. La nuit tombait brusquement, comme dans un décor de théâtre où les ampoules s'allument comme par magie, laissant la mer au loin comme une mare de boue. Elle sursauta, il dit "Vous avez froid?". Ses mèches de cheveux glissaient dans la lumière et il avait un beau visage. Elle s'attendait à voir éclater le brouhaha d'une fête foraine alors qu'ils marchaient côte à côte dans une rue presque déserte. Il ne la toucha pas. Elle n'arrivait pas à penser d'une façon sereine, et ce n'était pas à cause des deux verres de vin. Et soudain, alors qu'ils s'approchaient d'une source de lumière suspendue au-dessus d'un seuil de porte, et qu'elle allait enfin pouvoir le regarder de près, trois jeunes perturbés sortirent d'une ruelle. Elle resta bouche bée, saisie d'une panique atroce. Les trois voyous voulurent lui arracher son sac et le gitan s'interposa, recevant un grand coup de poing au visage. En voyant sa bouche éclater et le sang se mettre à couler, Joelle sentit sa gorge se nouer. Serrant son sac, elle s'enfuit brusquement. Elle courut à travers les rues, mal pavées, mal éclairées. Elle courut sans se retourner, sans s'arrêter. Elle n'entendait que ses pas qui martelaient le sol, et elle ne voyait que ce visage en sang, comme un masque tragique de comédie ratée. Au bout des rues innombrables, elle vit un autre café éclairé. Elle fit un effort trerrible pour tout remettre en ordre, dans son corps et dans son esprit, pour ne pas s'y précipiter. Elle y entra, contrôlant son énervement, et marcha vers un couple qui était assis près d'un néon tremblant. Elle prit place juste derrière eux et enfouit ses mains sous la table. Elle vit bien que des hommes, au bar, l'avaient regardé pénétrer, mais elle ne voulut pas leur prêter attention. Heureusement, le garçon ne venait pas prendre sa commande. Elle crut pouvoir se maîtriser mais le couple, devant elle, n'arrêtait pas de se disputer. C'était insupportable. Elle s'attendait, d'un moment à l'autre, à voir surgir les trois loubards. Elle ne savait même pas ce qu'elle allait commander : une bière, un café? Quelle bêtise! Le néon continuait de clignoter, comme un oeil malicieux qui se moquerait de son désarroi. Soudain, le mec se leva et sortit du café, laissant sa compagne en sanglots. Joelle aurait voulu l'aider, mais elle était paralysée. Suzy se serait levée et aurait été la rejoindre pour la consoler. Mais pas Joelle. Elle avait repris possession de ses mains et elle les triturait, sur la table, en attendant la venue du garçon.
Joelle ne pensait pas à la violence ordinaire, celle de la rue. Elle voulait seulement que la guerre éclata. Elle ne voulait pas aller soigner les enfants mutilés ou les soldats écrasés sous les bombes. Elle voulait être l'une des rescapées d'une guerre nucléaire. Elle avait vaguement entendu parler des menaces qui pesaient sur le monde, et de l'affrontement irrémédiable qui opposait des nations antagonistes, mais elle se sentait instinctivement protégée.

dimanche 13 juillet 2008

Saga

La libération d'Ingrid Betancourt ferait un très bon feuilleton télévisuel. Un condensé de"24h chrono" et de "Prison Break".
Tous les éléments sont effectivement en place pour une première saison : la famille, la détention, la prise de conscience internationale, la mobilisation, les aller-retour entre la France, pays conservateur, et la Colombie, pays exotique. Et puis tout le reste, qui alimente l'intérêt et le suspense : la jungle et son enfer, les dirigeants politiques et leurs rivalités, la rebellion, la drogue, la corruption opposée à l'extraordinaire détermination des enfants de l'otage...
Et nous avons de très bons acteurs, chez nous, qui sont exportables : Jean Réno, Audrey Tautou, Charles Berling... Je crois qu'on parle déjà de Romane Bohringer pour le rôle d'Ingrid. Très bon choix : elle en possède notamment certains traits physiques, mais surtout une profonde humanité qui correspond parfaitement au personnage.
Allez, silence! On tourne.

Enigme

Lu récemment dans le Nouvel Obs :
"Brigitte Bardot est une énigme"
Euh... c'est quoi, une énigme? Vite, dictionnaire : "chose difficile à définir, à connaître à fond".
Ben non, Brigitte Bardot n'est pas une énigme, parce que, dès le 1er tome de ses "mémoires" elle expliquait clairement son parcours, sans la moindre ambiguité.
Je résume : une jeune fille de bonne famille, qui fait de la danse et qui pose pour des magazines tout à fait convenables, sans se prendre la tête. Quelques tournages, quelques effeuillages sans la moindre vulgarité. Et puis, coup de foudre mutuel avec Vadim. Ils s'aiment, elle se laisse teindre les cheveux, c'est presque un jeu pour elle, elle a confiance en lui, il y a le soleil, et Saint Tropez, un petit village de pêcheurs.... A partir de là, tout va s'enchaîner, le succès et le reste.
A ce propos, il y a une très belle photo qui veut tout dire : à Cannes, en 54 ou 55, je ne sais plus, elle est devant et, derrière elle, trois stars de l'époque : Morgan, Tcherina, Feuillère. Elles sont altières, bien fringuées, bien maquillées, et elle, la Brigitte, elle sourit, elle rayonne, elle possède ce charme simple, vivant, primesautier, elle a sa chevelure presque en désordre, c'est jeune, c'est frais, c'est la relève. Voilà. Pas d'énigme, non.

Signe du Temps

On ne peut pas dire que le temps nous aura gâté jusqu'à présent. L'illisible printemps n'aura fait place qu'à un automne avancé de plusieurs mois. Je vais relancer la machine pour repartir dans le grand Tout de l'imaginaire. Voilà pour le prélude, et que le spectacle commence!