vendredi 22 août 2008

Les Rescapés (suite)

Epilogue : Sophie
Sophie quitta son livre et regarda autour d'elle : la piscine miroitait, le ciel était immaculé.
Sophie était bien la dernière personne "au monde" à lire encore des livres. Il y avait belle lurette que les livres n'existaient plus! Elle vit apparaître sa mère, dans son champ de vision. Suzy était encore très belle, elle avait cette allure des anciens mannequins, très haute, très classe, très contrôlée, et ce rouge à lèvres qui semblait abusif. De temps en temps Sophie se demandait quel âge avait sa mère, elle se posait la question et puis elle n'y pensait plus : Suzy n'avait pas d'âge, voilà tout. En fin de compte, celà la rassurait : pas d'âge, pas de problème.
"Les invités vont bientôt arriver" dit Suzy. Sophie approuva de la tête. Elle attendait l'arrivée de Marc, son père. Elle se délectait à l'avance de le voir s'avancer, avec cette démarche hésitante, un peu chaotique, qui annonçait la fin des temps. Quel âge pouvait-il bien avoir, lui aussi? Et à quel âge l'avait-il conçue? Comme elle n'était pas douée en mathématiques, elle s'en foutait un peu, mais elle trouvait ça marrant de se prendre au jeu. Après tout, un homme pouvait être fécond très longtemps... Elle se replongea dans sa lecture, sans vraiment y prendre goût, elle s'amusait plus de la vie que des vieux romans à la con qui encombraient sa bibliothèque. Brusquement, la musique envahit la piscine et la terrasse, une musique qui n'avait ni âge ni renom puisqu'elle était créée "à l'instant même" par les doigts inventeurs d'Adam, le mec rigolo à la tête chauve et au corps disloqué qui ressemblait à un échappé de l'univers cybernétique de l'an 2000. Quelle rigolade! Comme si l'an 2000 avait existé! Mais sans doute était-ce une sorte de référence.
Elle n'arrivait pas à situer le temps, le présent, le passé, le futur, puisque tout celà m'existait pas. Sa mère lui avait bien parlé d'une catastrophe planétaire, ou d'une déflagration nucléaire, mais elle n'avait aucune idée de ce que celà signifiait. Elle avait seulement du mal à dire "Hier, je me suis brossé les dents" ou "demain, j'irai marcher sur la lune" puisque ses dents se brossaient toutes seules et que la lune n'existait pas. Elle se leva tout de même, pour faire semblant de s'animer, mais son esprit était ailleurs.
Suzy regarda Marc, elle trouvait qu'il se "déglinguait". Combien de temps résisterait-il encore avant de prendre ses pilules? Elle le vit se mettre à danser sur la piste au-dessus de la piscine, et sa bouche se crispa. Elle avait beau renouveler sans arrêt la texture de son rouge à lèvres, elle n'arrivait pas à restituer la brillance d'autrefois. Ah, l'autrefois! elle y pensait souvent, mais comme elle avait exclu les rêves de son sommeil, elle n'arrivait plus à recentrer les éléments de son passé.
La musique maintenant se déferlait, provenant directement du corps d'Adam qui se dandinait avec un plaisir enjoué, faisant l'admiration des invités obnubilés par les excès de son corps mécanique, qu'on aurait cru inventé de toutes pièces par un fabricant d'automates. "Trop cool!" s'écria Sabuni en faisant son apparition. Il portait une robe tatouée de symboles hermétiques, le genre de truc que les mecs dans le genre insensé arrivent à arborer pour se faire remarquer. Aussitôt, à sa vue, Sophie se leva. Elle portait un petit ensemble très strict mais très moulant qui mettait en valeur son corps presque parfait s'il avait été conçu quelques siècles plus tôt, mais la mode n'était plus au "body perfect", elle le savait et elle en tirait d'étranges satisfactions. Elle s'élança sur la terrasse transformée en piste de danse et elle alla tout de suite se contorsionner devant Sabuni qui lui adressa un sourire.
"Les enfants s'amusent" pensa Joelle en jetant un coup d'oeil à travers sa porte-fenêtre qui donnait directement sur la terrasse. Elle pensa si fort que David, qui venait d'entrer dans la pièce, s'arrêta, un verre à la main. Il posa le verre, rempli d'une liqueur brumeuse, à côté d'elle, et attendit, conscient qu'elle allait lui parler. "Que penses-tu de tout ça?" dit-elle. Il regarda vers la terrasse. Le bruit de la musique ne lui parvenait pas. Seuls les différents danseurs gesticulaient, à la façon de pantins en rupture d'équilibre. "Adam n'est plus contrôlable, dit-il, ses neurones sont déréglés. Quant à Sabuni, je ne crois pas que ses crises mystiques puissent lui assurer un minimum de train de vie". Agacée, elle lui fit signe de sortir. Les fantômes allaient revenir. Elle ne pourrait pas lutter bien longtemps. Elle savait que, de nouveau, les coups allaient pleuvoir. Elle fit une atroce grimace. Elle ne se souvenait plus d'avoir autant souffert, et le cauchemar ne faisait que commencer.

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