mercredi 13 août 2008

Les Rescapés (suite)

Deuxième Partie (suite) : David
Jusqu'à présent David n'avait jamais eu affaire à un technocrate blessé. Encore que le mot "blessé" ne lui paraissait pas vraiment adéquat. Il aurait préféré "disloqué". Depuis qu'il l'avait récupéré, avec l'aide de Suzy, et sorti de la boîte, le pauvre Adam restait prostré dans le salon de David, comme un automate qu'on aurait oublié de remonter. Il ne saignait pas, il ne gémissait pas, il respirait faiblement, les yeux exorbités, c'est tout.
Et David ne pouvait absolument pas avoir recours à Suzy. Elle semblait complétement tétanisée après l'incident de la boîte, et refusait absolument de venir voir ce qui ne fonctionnait pas chez ce pantin étrangement constitué.
Alors David tournait en rond. Devait-il ramener Adam avant que les autres technocrates ne découvrent sa disparition, ou devait-il le garder, au risque de voir débarquer chez lui la milice et la police privée du président qui ne tarderaient pas à être alertées? Toute sa vie il avait voulu savoir comment fonctionnait ce genre de phénomène, et voilà qu'il en avait un chez lui, patraque mais bien vivant... Non, non, non, il ne pouvait pas le ramener, pas avant d'avoir percé quelques-uns de ses secrets. Ils étaient devenus amis, maintenant, Adam lui était redevable, alors ils allaient pouvoir s'entraider, se confier leurs désirs, leurs pensées intimes. Il suffisait pour celà de "rebrancher" Adam, de lui redonner du tonus. David se creusa la cervelle. Il n'avait pas de bouquins chez lui spécifiant le mode d'emploi pour ressusciter un robot en détresse...Peut-être une ancienne revue, du temps où sa mère était cartomancienne...
Il releva ses manches, mouilla son index et commença à feuilleter.
Le soir tombait, les yeux d'Adam luisaient dans la pénombre. Son costume était tout frippé et son visage était déformé par la torgniole qui lui avait balancé l'obsédé sexuel. David commençait à perdre tout espoir lorsque soudain, allumant sa lampe de chevet, il tomba sur une photo classique, échappée d'un livre de tarots où elle marquait la page d'un chapitre consacré à la chasse aux sorcières. Devant ses yeux ébahis la reproduction d'une fresque de Michel Ange sembla transpercer son esprit : Dieu, barbu et protecteur, donnait vie à Adam en lui touchant l'index. David, tout tremblant, referma le bouquin et se mit à genoux devant son copain Adam. Et il se mit à pointer son index sur les différentes parties de son corps, espérant ainsi trouver le point sensible qui lui permettrait de le refaire fonctionner.
Dès qu'il fut en possession de toutes ses facultés, Adam se mit à commander. Il ne retournerait pas au centre d'expériences où il travaillait. "Ils m'ont déjà remplacé, expliqua-t-il. Ils ne peuvent pas se permettre de chercher un technocrate qui s'est échappé. Ils savent très bien que nous n'avons aucune chance de survie si nous nous retrouvons sans travail. Nous sommes programmés pour faire avancer la recherche, nous ne pouvons pas nous permettre de batifoler des journées entières dans la nature. Nos caprices sont limités. C'est pourquoi tu dois te dépêcher de me trouver le matériau nécessaire pour que je me remettre à travailler de la manière la plus indépendante qui soit, si tu ne veux pas que je me désintégre entre tes doigts".
David passa la semaine entière à récupérer, voler ou acheter toute sorte de matériel électronique en piteux état pour que son ami puisse se rebrancher et se remettre à travailler, alignant les formules et se shootant à la résolution d'équations multiples qui améliorèrent son cerveau perturbé par l'attaque physique dont il avait été l'objet. David se pâmait d'admiration devant lui, il le voyait comme sa création, sa complémentarité, sa revanche absolue sur les années de galère où il secondait sa pauvre mère, obligée pour survivre à tirer les cartes à d'horribles personnages en quête de gloire et de prospérité
Adam, de son côté, s'enorgueillissait de produire, en travaillant seul, beaucoup plus de résultats que les autres technocrates, habitués à travailler ensemble, à se concurrencer et à se contredire, ce qui ne faisait que ralentir leur productivité. Adam, le génie, n'avait de comptes à rendre qu'à lui-même, et sa concentration le faisait avancer à pas de géant vers la connaissance extrème, le point de non-retour dont seule sa propre destruction pouvait arrêter la révélation finale.
David ne sortait presque plus, il restait des heures avachi devant son robot préféré, ivre de son jouet au point de se sentir des raideurs dans les membres. Tout juste essayait-il de temps en temps de recontacter Suzy, dont il n'avait pas perdu l'espoir de reconquérir sinon le coeur, du moins un renouveau dans l'amitié. Mais elle restait infléxible, elle avait eu trop peur.
Parfois, dans son sommeil, elle revoyait ce type essayant de la retenir sur la piste de danse, elle revoyait ses yeux, sa main brutale, elle avait envie de hurler, de le gifler comme cet homme, autrefois, quand elle était petite, qui l'avait saisie par les cheveux alors qu'elle jouait sur le sol, et qui lui avait amené son visage contre son sexe, et elle avait hurlé et pleuré, et il l'avait brutalement laissé tomber par terre avant de disparaître en maudissant la terre entière. Alors elle se recroquevillait sur elle-même et restait de longs moments sans pouvoir surmonter son chagrin.
Pourtant, un mois après cette sinistre aventure, lorsque David l'appela au secours avec des mots tremblants, elle ne put s'empêcher d'aller le retrouver car elle savait qu'il était vraiment désespéré.
Lorsqu'elle entra chez lui, elle le trouva prostré à côté d'Adam qui, lui-même, semblait en proie à une dangereuse apathie. Sur l'un de ses ordinateurs, celui qui se trouvait juste en face de lui, il y avait écrit "JE NE SUIS PLUS LE SEUL. AIDEZ-MOI !".

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