samedi 30 août 2008

Lady Macbeth

On connaît le Macbeth de Shakespeare, et l'opéra de Verdi qui en découla. On connaît moins la Lady Macbeth de Chostakovich. Pourtant, les déboires qui suivirent sa création méritent amplement le détour.
Créée à Léningrad le 22.01.1934, puis à Moscou, elle connut un succès éclatant jusqu'à ce que, en 1936, Staline se décida à l'aller voir. Très fortement choqué par les excès "hystériques" de l'héroïne et de la musique, il fit pression pour que le Parti Communiste en prononce l'interdiction.
Ce ne fut qu'en 1963 qu'elle réapparut, sous un nouveau nom "Katerina Ismailova" et un remaniement, effectué par Chostakovich lui-même, afin de la rendre moins agressive.
Cependant, Staline n'étant plus là, Rostropovich, qui était parti de Russie avec sa femme et avec le manuscrit original, put l'enregistrer à l'étranger d'une façon définitive et éclatante avec Galina Vishnevskaya, Nicolai Gedda et l'orchestre philharmonique de Londres.
C'est cet enregistrement que Petr Weigl mit en images en 1992, dans une version cinématographique dont la violence sexuelle est à la limite de la pornographie. Les deux acteurs (Markéta Hrubeÿova et Michal Dlouhy) qui doublent les voix des interprètes possèdent des physiques qui laisse le couple Pitt-Jolie à l'horizon de la fadeur. Il y a notamment une scène où une des servantes se fait agresser par une dizaine de mâles (dont le jeune héros), nus et en chaleur, qui mériterait aujourd'hui l'interdiction aux moins de 16 ans...
Lady Macbeth de Mzensk est donc, désormais, largement réhabilitée, et ce n'est que justice.

jeudi 28 août 2008

Nicolas et Dmitri

Je me souviens de leur rencontre, il y a quelques jours, à Moscou : le président Sarkozy, un peu coincé, un rictus sur le visage, s'avançant vers le président Medvedev, pour essayer de régler le problème de la Georgie. Medvedev, lui, s'avance en bombant le torse, un sourire conquérant sur son jeune visage. C'est cette façon de "bomber le torse" qui m'avait frappée.
En relisant la courte mais déjà prometteuse biographie de Dmitri, j'ai compris pourquoi il arborait cette presque "insolente" attitude : il avait été, dans un passé récent, champion d'haltérophilie.
Il y a toujours une explication dans l'attitude des gens. Poutine s'était fait photographier torse nu, et les femmes russes étaient fières de leur président. Maintenant qu'il a laissé la place à son copain Medvedev, il peut se réjouir des nouveaux succès de celui-ci qui vient de reconnaître les régions séparatistes d'Ossétie du sud et d'Abkhasie.
De son côté, Sarkozy tape sur la table et crie "Ce n'est pas acceptable!". Mais il a toujours ce rictus sur le visage alors que Medvedev, lui, sourit en l'écoutant, et bombe le torse.

mercredi 27 août 2008

Concubines

SongLian, 19 ans, doit se résoudre à se marier. Elle a le choix entre un homme pauvre, et elle sera sa femme, ou un homme riche, et elle ne sera que l'une de ses concubines. Elle choisit un homme riche, et devient sa "quatrième épouse".
Celà ne se passe pas en France où la polygamie est, légalement, interdite, mais en Chine, dans les années 20.
Dans l'immense demeure du Maître, faite de plusieurs bâtiments reliés par des cours intérieures, SongLian doit, non seulement affronter les trois autres épouses, mais aussi ses propres démons. Le film (magnifique) de Zhang Yimou, est un labyrinthe intérieur, un réseau spirituel où l'héroïne se déplace de case en case pour expérimenter sa propre résistance face à l'ennemi. La première épouse, la plus vieille, est la garante des rites ancestraux. La seconde est la bourgeoise type : gentille en apparence mais terriblement hypocrite. La troisième représente une certaine forme de modernité : ancienne cantatrice, elle a une liaison secrète avec le jeune médecin qui fréquente la maisonnée.
SongLian comprend très vite que, sans intrigues, elle ne pourra pas garder longtemps les faveurs du Maître. Elle accaparera son attention et sa présence en faisant croire qu'elle est enceinte. Fou de joie, l'époux restera donc auprès d'elle, au grand dam des trois autres. Jusqu'à ce que la propre servante de SongLian ne découvre le pot-aux-roses et n'aille en informer la seconde épouse.
Pour la jeune femme, ce sera désormais le déclin : les lampes, qui s'allumaient devant les portes de l'épouse choisie le soir pour le plaisir du Maître, seront à jamais masquées de noir devant la sienne. Folle de rage, elle se vengera sur sa servante qui en mourra de chagrin et, le jour de ses 20 ans, ayant abusé du vin, elle accusera publiquement la troisième épouse d'adultère. La réaction sera violente, puisque cette dernière sera pendue dans une des pièces de l'immense bâtisse, tout en haut des remparts.
Se rendant compte de ses actes, SongLian sombrera dans la folie alors que la cinquième épouse fera son apparition.
Ce drame oppressant, extraordinairement bien agencé, fait penser à l'histoire de Barbe-Bleue : la nouvelle élue ouvre toutes les portes et se heurte à la dernière, où sont enfermés les fantômes du passé. SongLian, en refusant de se soumettre, connaîtra très vite (en une année, exactement) les limites de sa propre résistance mentale face aux multiples dangers d'un univers qui, jusque-là, lui était étranger.

mardi 26 août 2008

Lady Chatterley

Je devais avoir 13 ans lorsque j'ai lu le livre. J'étais en vacances chez ma soeur, à Bordeaux. Comme elle avait 11 ans de plus que moi, elle était déjà mariée et mère de famille. Moi, j'en étais à mes premières masturbations.
Je me souviens surtout de la scène où ils se mettent des fleurs autour des parties intimes. Ma soeur était gentille et compréhensive, mais tout de même, c'était surtout dans les chiottes que je lisais le bouquin...autant dire que les waters étaient souvent occupés !
Le film de Pascale Ferran a eu les honneurs de la critique : plein de césars et de prix. C'est marrant parce que, à certains moments, les deux acteurs (Marina Hands et Jean-Louis Coulloc'h) ont des faux airs de Charlotte Rampling et de Marlon Brando, le charisme en moins. Parce que le charisme, il n'y en a pas des masses dans le contexte! Autour d'eux, c'est le désert, un désert immense : une grande maison, un parc immense, mais un seul chien, une seule bonne, et pas un seul chat. C'est d'une tristesse! Sur la pochette du DVD, cette inscription "C'est le désir qui fait tourner le monde". Non, sans blague? Je crois que je vais relire le livre, mais cette fois-ci, je ne m'enfermerai pas dans les toilettes!....

dimanche 24 août 2008

La Passe Dangereuse - extraits

- Mais le moyen de résister à la tentation d'entendre parler de soi?
- Le mort n'a plus l'air humain. A peine peut-on imaginer qu'il ait jamais vécu.
- Quand tout est si fugitif et si vain, n'est-il pas pitoyable d'attacher un prix absurde à des futilités et de se rendre mutuellement si malheureux?
- Mais la grande affaire, c'est d'aimer, non pas d'être aimé. Eprouvons-nous même de la reconnaisance pour ceux qui nous aiment? Si nous ne partageons pas leur sentiment, ils ne réussissent qu'à nous importuner.

A propos de la vérité :
- Certains d'entre nous la cherchent dans l'opium, d'autres en Dieu, dans le whisky ou dans l'amour. C'est toujours la même poursuite, et elle ne mène nulle part.
- Pour être fort, il faut d'abord savoir se dominer.
- S'il est nécessaire parfois de mentir aux autres, il est toujours méprisable de se mentir à soi-même.

vendredi 22 août 2008

Les Rescapés (suite)

Epilogue : Sophie
Sophie quitta son livre et regarda autour d'elle : la piscine miroitait, le ciel était immaculé.
Sophie était bien la dernière personne "au monde" à lire encore des livres. Il y avait belle lurette que les livres n'existaient plus! Elle vit apparaître sa mère, dans son champ de vision. Suzy était encore très belle, elle avait cette allure des anciens mannequins, très haute, très classe, très contrôlée, et ce rouge à lèvres qui semblait abusif. De temps en temps Sophie se demandait quel âge avait sa mère, elle se posait la question et puis elle n'y pensait plus : Suzy n'avait pas d'âge, voilà tout. En fin de compte, celà la rassurait : pas d'âge, pas de problème.
"Les invités vont bientôt arriver" dit Suzy. Sophie approuva de la tête. Elle attendait l'arrivée de Marc, son père. Elle se délectait à l'avance de le voir s'avancer, avec cette démarche hésitante, un peu chaotique, qui annonçait la fin des temps. Quel âge pouvait-il bien avoir, lui aussi? Et à quel âge l'avait-il conçue? Comme elle n'était pas douée en mathématiques, elle s'en foutait un peu, mais elle trouvait ça marrant de se prendre au jeu. Après tout, un homme pouvait être fécond très longtemps... Elle se replongea dans sa lecture, sans vraiment y prendre goût, elle s'amusait plus de la vie que des vieux romans à la con qui encombraient sa bibliothèque. Brusquement, la musique envahit la piscine et la terrasse, une musique qui n'avait ni âge ni renom puisqu'elle était créée "à l'instant même" par les doigts inventeurs d'Adam, le mec rigolo à la tête chauve et au corps disloqué qui ressemblait à un échappé de l'univers cybernétique de l'an 2000. Quelle rigolade! Comme si l'an 2000 avait existé! Mais sans doute était-ce une sorte de référence.
Elle n'arrivait pas à situer le temps, le présent, le passé, le futur, puisque tout celà m'existait pas. Sa mère lui avait bien parlé d'une catastrophe planétaire, ou d'une déflagration nucléaire, mais elle n'avait aucune idée de ce que celà signifiait. Elle avait seulement du mal à dire "Hier, je me suis brossé les dents" ou "demain, j'irai marcher sur la lune" puisque ses dents se brossaient toutes seules et que la lune n'existait pas. Elle se leva tout de même, pour faire semblant de s'animer, mais son esprit était ailleurs.
Suzy regarda Marc, elle trouvait qu'il se "déglinguait". Combien de temps résisterait-il encore avant de prendre ses pilules? Elle le vit se mettre à danser sur la piste au-dessus de la piscine, et sa bouche se crispa. Elle avait beau renouveler sans arrêt la texture de son rouge à lèvres, elle n'arrivait pas à restituer la brillance d'autrefois. Ah, l'autrefois! elle y pensait souvent, mais comme elle avait exclu les rêves de son sommeil, elle n'arrivait plus à recentrer les éléments de son passé.
La musique maintenant se déferlait, provenant directement du corps d'Adam qui se dandinait avec un plaisir enjoué, faisant l'admiration des invités obnubilés par les excès de son corps mécanique, qu'on aurait cru inventé de toutes pièces par un fabricant d'automates. "Trop cool!" s'écria Sabuni en faisant son apparition. Il portait une robe tatouée de symboles hermétiques, le genre de truc que les mecs dans le genre insensé arrivent à arborer pour se faire remarquer. Aussitôt, à sa vue, Sophie se leva. Elle portait un petit ensemble très strict mais très moulant qui mettait en valeur son corps presque parfait s'il avait été conçu quelques siècles plus tôt, mais la mode n'était plus au "body perfect", elle le savait et elle en tirait d'étranges satisfactions. Elle s'élança sur la terrasse transformée en piste de danse et elle alla tout de suite se contorsionner devant Sabuni qui lui adressa un sourire.
"Les enfants s'amusent" pensa Joelle en jetant un coup d'oeil à travers sa porte-fenêtre qui donnait directement sur la terrasse. Elle pensa si fort que David, qui venait d'entrer dans la pièce, s'arrêta, un verre à la main. Il posa le verre, rempli d'une liqueur brumeuse, à côté d'elle, et attendit, conscient qu'elle allait lui parler. "Que penses-tu de tout ça?" dit-elle. Il regarda vers la terrasse. Le bruit de la musique ne lui parvenait pas. Seuls les différents danseurs gesticulaient, à la façon de pantins en rupture d'équilibre. "Adam n'est plus contrôlable, dit-il, ses neurones sont déréglés. Quant à Sabuni, je ne crois pas que ses crises mystiques puissent lui assurer un minimum de train de vie". Agacée, elle lui fit signe de sortir. Les fantômes allaient revenir. Elle ne pourrait pas lutter bien longtemps. Elle savait que, de nouveau, les coups allaient pleuvoir. Elle fit une atroce grimace. Elle ne se souvenait plus d'avoir autant souffert, et le cauchemar ne faisait que commencer.

jeudi 21 août 2008

La Mort au quotidien

Attentat en Algérie, soldats tués en Afghanistan, accident d'avion à Madrid...rien que pour la journée d'hier, les morts se comptent par dizaines, et ce ne sont pas des morts "naturelles". Chacun pourra évoquer le Destin, ou la Fatalité, ou encore se voiler la face en se croyant à l'abri du danger, mais la force de ces événements devenus quotidiens c'est de nous prouver combien notre personne est vulnérable, alors que l'on essaye de nous faire croire que nous sommes des champions olympiques et des maîtres à penser.
La force du Dalaï-lama, c'est son extrème fragilité. Il est le roseau pensant dont parlait Pascal, il plie mais ne se rompt pas. Il va, de pays en pays, apparemment confiant devant ces chefs d'états responsables et omniprésents qui continuent sans relâche de faire de l'Histoire un tourbillon de guerres et de conflits ininterrompus.
Rien, à l'horizon, qui puisse nous faire croire à une quelconque solution de l'environnement politique. Rien, à l'horizon, qui puisse nous faire croire que nous sommes autre chose que des pions, des pions secoués par les intempéries de notre progrès, de nos mécaniques sophistiquées et de nos propres problèmes d'ego, tiraillés entre nos pulsions contradictoires de gloriole et d'humilité.

mercredi 20 août 2008

Les Rescapés (suite)

Deuxième Partie (suite) : Adam et Sabuni
Le président se leva et frappa du poing sur la table "Il est inadmissible que le Petit Génie déclenche le début du combat avant que mon palais ne soit complètement achevé! Vous devez absolument l'en empêcher! ". Pour une fois son air bonasse avait définitivement disparu au profit d'un rictus franchement déterminé.
Marc et Joelle se tenaient devant lui, l'un navré, l'autre butée. Il regarda Joelle "Vous avez de l'influence sur lui, ma chère, demandez-lui de retarder l'affrontement. Vous savez qu'il en a la capacité. Il est le plus fort, il vaincra son adversaire de toute façon". Joelle releva fièrement la tête . Elle n'appréciait pas du tout que ce tyran ridicule traita son Fils de "Petit Génie". Il ne l'a pas encore localisé, dit-elle. Ce devrait ête l'affaire de quelques jours, de quelques semaines peut-être. Dès qu'il saura où il se trouve, il pourra commencer à se mesurer à lui!" - "Très bien, dit le dicateur en se frottant les mains, parfait. Que votre Petit Génie poursuive ses recherches..." et, se tournant vers Marc "Dites-moi, mon ami, mon palais est-il prêt? Vais-je pouvoir enfin m'y installer?" - "Absolument. Encore quelques travaux de peinture et tout sera conforme à vos désirs!" - "Très bien, très bien, je m'y rendrai prochainement pour étudier mon emménagement". Il fit un geste de la main, Joelle se retira sans lui concéder le moindre salut. Marc allait s'en aller mais le président s'écria "Restez, mon ami, j'ai du nouveau pour vous!". Il sursauta, son coeur se mit à battre très fort "Vous l'avez retrouvée?" s'écria-t-il. Le président fit la moue et cligna des yeux "Oui" murmura-t-il d'une voix presque efféminée. "Où est-elle? Que fait-elle? Me reconnaîtra-t-elle?" - "Ca, mon ami, je n'en sais rien" et il le regarda fixement. "Puis-je entrer en contact avec elle?" - "Bien sûr. Venez avec moi".
Ils suivirent un long couloir où quelques gardes somnolaient et entrèrent dans le laboratoire près de la salle d'audience. Une dizaine de savants aux visages figés repéraient sur des écrans géants des planètes lointaines qui n'avaient pas encore été répertoriées. Le président tapa sur l'épaule de l'un d'eux et lui donna des ordres à voix basse. Le savant s'installa à sa console et se concentra sur une série de touches vocales qui lui permirent d'animer son écran. Le pâle reflet d'une jeune femme apparut, comme désincarné. Marc blémit. Il distinguait les traits succints d'un visage filiforme où seul le rouge de la bouche semblait encore vivant. Le savant se leva, donna sa place à l'architecte et lui fit signe de mettre les écouteurs. "Parlez, lui dit-il, je crois qu'elle peut vous entendre". Marc s'assit en tremblant et ajusta le micro et les écouteurs.
"Suzy, est-ce vous? M'entendez-vous?" - "Marc! J'ai l'impression de vous entendre pour la dernière fois!". Le pâle reflet s'anima, mais le regard n'existait pas, seules les lignes rouges de la bouche s'animaient. "Que dites-vous? s'écria-t-il. J'ai du mal à vous reconnaître. Où êtes-vous?" - "Je l'ignore, Marc. Je suis dans une ville, sans doute, mais j'ignore laquelle. Je suis enfermée depuis de longs mois. Je ne sors presque plus" - "Enfermée, dites-vous? Qui vous tient prisonnière? Expliquez-moi, Suzy! Nous avons le pouvoir de vous délivrer, donnez-nous seulement quelques précisions sur l'endroit où vous êtes, et nous irons vous délivrer!" - "Je ne suis pas prisonnière, mon cher Marc, je suis avec David, un étudiant, et nous soutenons un être étrange, Adam, qui va nous délivrer de tous les complots qui se trament autour de nous. Cet être exceptionnel, qui s'est libéré de la subordination des technocrates, vient tout juste de se mettre en contact avec l'Ennemi juré! Rendez-vous compte, Marc, dans une simple chambre d'étudiant! Un petit réduit encombré de machines et de fils! David et moi, nous sommes les tuteurs de cet incroyable génie...". Tous les savants s'étaient regroupés autour de Marc , et ils dodelinaient de la tête en fixant les lèvres rouges de la femme qui n'arrêtaient pas de remuer. "Continuez de lui parler" souffla le président à l'oreille de Marc. Et bientôt tous les écrans s'illuminèrent. Les savants se redressèrent et levèrent les mains au ciel en proférant des "Ah!" et des "Oh!" émerveillés. "Nous l'avons repéré! trépigna le président. Nous savons où il se trouve!" et, secouant la manche d'un savant qui gesticulait "Transmettez ses coordonnées au fils de Joelle!". Il se pencha vers Marc "Nous le tenons, lui dit-il en lui tapotant l'épaule. Vous avez fait du bon travail. Demain, vous m'emménerez voir mon palais afin que je puisse m'y installer pour suivre le combat final".
Marc transpirait comme un malade. Il rejeta les écouteurs et se dressa d'un bond. "Faites-la venir jusqu'ici!" dit-il. Les savants le contemplèrent avec de grands yeux étonnés. Il regarda autour de lui "Où est le président? Pourquoi est-il parti?". Ils levèrent les bras avec un geste d'impuissance. Il voulut se rasseoir devant l'écran mais un savant avait déjà repris sa place. "Laissez-moi l'avertir!" dit-il en essayant de le relever de son siège, mais déjà les gardes étaient entrés et se saisissaient de lui. Ils le firent sortir du laboratoire et le traînèrent jusqu'à ses appartements privés. Les trois baigneuses lui firent de grands signes et l'invitèrent à venir les rejoindre mais il les ignora. Il se mit à tourner en rond dans le salon, se tordant les doigts de douleur. Brusquement, s'arrêtant devant le portrait de sa femme, il sursauta "Joelle!" s'écria-t-il. Il regagna le couloir, descendit jusqu'aux appartements de Sabuni. Deux gardes lui barrèrent la porte. "Je veux voir ma femme!" cria-t-il. "Impossible, monsieur l'architecte, répondirent-ils en choeur, le grand combat va commencer!".

lundi 18 août 2008

Les Rescapés (suite)

Deuxième Partie (suite) : Joelle
Depuis quelques temps, Sabuni était perturbé. Joelle lui tenait souvent compagnie, dans ses appartements privés. Marc ne la voyait presque plus, et se prenait à désespérer de ne pas pouvoir entrer en contact avec elle pour essayer de lui soutirer quelques secrets sur les activités de celui qu'elle appelait son Fils. Il la savait indifférente à ce qu'il fabriquait, seulement préoccupée de lui plaire afin de fortifier son statut de mère, unique et aimante. Mais le moindre détail, la plus petite indiscrétion auraient pu lui donner matière à faire patienter le président, et le consolider dans son espoir de retrouver Suzy.
L'obsession presque morbide qu'il entretenait au sujet de cette femme venait de son remord de l'avoir abandonnée alors que la destruction ravageait la ville de V***. Que n'eut-il voulu la sauver, l'enlever pour la faire revivre dans un autre monde, alors qu'il s'était contenté de suivre Joelle, qui marchait dans les ruines comme une somnambule, guidée par une mission dont il ne comprenait pas le pourquoi, mais qui exerçait sur lui une sorte de fascination, comme le rêve inachevé d'un créateur qui veut encore sauver les restes d'une ville aux palais engloutis.
Au bout d'une semaine, semble-t-il, Sabuni commença à sortir de cette anxiété menaçante qui avait subitement freiné ses multiples recherches. Non pas qu'il eut cessé de donner régulièrement au président les aperçus de ses travaux, mais il avait le sentiment stérile de se répéter et de ne livrer son quotidien de créations que pour mieux atténuer les ravages que des pressentiments faisaient peser sur lui. Son anxiété était devenue certitude : quelqu'un essayait de pénétrer son cerveau pour atteindre son oeuvre.
Cet excès de clairvoyance eut une conséquence inattendue : Sabuni et Joelle redevinrent de simples humains. L'espace d'une lutte acharnée, ils s'unirent pour trouver un moyen de ciconvenir le parasitage de leur quiétude. Eux qui avaient pris l'habitude de nager dans des sphéres devenues inaccessibles à leur entourage furent bien obligés de redescendre sur terre et d'affronter ce qui leur semblait jusque-là inconcevable : une entité égale, qui voulait devenir supérieure, et les détruire par la même occasion.
Joelle connaissait le danger : elle ne voulait pas que sa mère réapparaisse. Les cauchemars incessants qui l'avaient perturbée à partir du moment où elle avait donné naissance à sa fille allaient revenir si elle n'aidait pas son Fils à affronter le péril qui le menaçait. De son premier mariage, râté, elle ne se souvenait que d'échecs et de trahisons. Un mari incapable de subvenir à leurs besoins, une fille rendue ingrate par le manque de soins et d'affection, un amant qui l'avait abandonnée après avoir profité d'elle, toute une accumulation de désastres qui avait entraîné une hallucination permanente de cette mère chêtive et vicieuse qui la frappait dans son sommeil et n'arrêtait pas de lui répéter "Tu ne vaux rien, tu ne mérites pas le bonheur, tu seras toujours méprisable et tu vieilliras seule".
Peu importe ce que fabriquait son Fils, peu importe les horreurs qu'il pouvait engendrer, peu importe les solutions extrèmes qu'il envisageait de produire, il l'avait idolâtrée au-delà de tout ce qu'elle aurait pu concevoir, annihilant toutes les inquiétudes qui l'avaient poursuivie jusque-là. Elle devait le soutenir, l'aider à reconquérir son statut de Fils unique, car les fantômes ne meurent jamais.
Son amour était sincère, et ce fut certainement grâce à lui que Sabuni commença à entrevoir l'origine des menaces qui pesaient sur lui et son autonomie. Un étranger, un étranger, oui, à la force comparable à la sienne, et qui osait maintenant le défier. Par quelles ramifications, par quels subterfuges, par quelles potions magiques cet adversaire avait-il réussi à se hisser à son niveau, le niveau absolu, la concentration suprème, l'influx énergétique opérationnel?
A partir de ce moment, tous ses projets lui semblèrent dérisoires. Pourquoi continuer à créer si une puissance extérieure pouvait s'introduire et contrecarrer ses plans, les utiliser ou les manipuler à sa guise? Non, il fallait d'abord la repérer, et la détruire. Alors, dans cette exaltation nouvelle, où se mêlaient le doute et l'excitation, il se prenait à évoquer les sortilèges d'autrefois, les jeteurs de sorts et les sorcières, les manipulateurs de l'esprit et les prophètes symboliques et barbares.
Et c'est grâce à cette confusion extrème que Marc put réussir à regagner la confiance de Joelle. Elle ne vit pas en lui un trouble-fête, un maniganceur de complots sordides. Il cerna le problème en bon architecte. Les plans d'un palais pouvaient se substituer aux méandres d'un esprit torturé. Quelques jours plus tard, Sabuni fut convoqué dans le bureau du président. Il fit part de sa découverte : il avait identifié l'intrus. Il devait le combattre avant de continuer ses recherches. Le président, subjugué par tant d'autorité, lui donna carte blanche. Un tel génie dans son entourage lui apparut comme une révélation de son propre rôle dans l'agencement des conflits du monde et des planètes.

samedi 16 août 2008

Ginger et Fred

Nous sommes en 1985, c'est l'un des derniers films de Fellini et, comme d'habitude, c'est un chef d'oeuvre, parce que c'est un film prémonitoire.
Amelia (Giulietta Masina) et Pippo (Marcello Mastroianni) effectuaient dans les années 40 un numéro de claquettes inspiré du célèbre duo Ginger Rogers-Fred Astaire. Après le succès, ils se sont séparés. Mais la télévision italienne leur demande, près de 40 ans après, de revenir, pour participer à un show qui sera vu par des milliers de télespectateurs.
Amelia débarque à Rome, pour être conduite à l'hôtel où seront rassemblés la plupart des participants à ce spectacle, avant leur transfert aux studios le lendemain matin. Dès son arrivée elle est inondée par l'arrogance de la vulgarité ambiante : poubelles fumantes sur les trottoirs, spots publicitaires hallucinants et écrans de télévision omniprésents. Il ne manque plus qu'Internet et les téléphones portables, pour refléter le monde d'aujourd'hui.
Amelia et Pippo vont se retrouver. Ils ont vieilli, ils n'ont plus le pied aussi léger, mais ils sont heureux de se souvenir de ce qu'ils ont vécu ensemble. Pourtant, jusqu'au dernier moment, devant leur table de maquillage ou durant la coupure de courant qui va interrompre leur prestation, ils auront envie de fuir, de quitter ce "cirque" comme l'appelle Amelia qui les montre, eux et les autres, comme des animaux de foire devant un public voyeuriste.
Ils se sépareront, devant la gare de Rome, émus malgré tout par l'hommage de quelques jeunes, qui, après les avoir vus, leur demandent de signer quelques autographes. Se reverront-ils? "En tout cas, pas pour danser ensemble" affirme Pippo et ils disparaissent, retrouvant leur propre vie, leurs propres fantômes. L'album de souvenirs restera vivant encore, pendant quelques temps, et les spectacles se succéderont, sans eux, mais avec d'autres vedettes, d'autres candidats, d'autres cobayes...
Aujourd'hui, s'il était encore vivant, Fellini aurait-il été obligé de travailler pour la télévision? Oui, sans aucun doute. C'est pourquoi ses films nous sont encore plus précieux aujourd'hui.

mercredi 13 août 2008

Les Rescapés (suite)

Deuxième Partie (suite) : David
Jusqu'à présent David n'avait jamais eu affaire à un technocrate blessé. Encore que le mot "blessé" ne lui paraissait pas vraiment adéquat. Il aurait préféré "disloqué". Depuis qu'il l'avait récupéré, avec l'aide de Suzy, et sorti de la boîte, le pauvre Adam restait prostré dans le salon de David, comme un automate qu'on aurait oublié de remonter. Il ne saignait pas, il ne gémissait pas, il respirait faiblement, les yeux exorbités, c'est tout.
Et David ne pouvait absolument pas avoir recours à Suzy. Elle semblait complétement tétanisée après l'incident de la boîte, et refusait absolument de venir voir ce qui ne fonctionnait pas chez ce pantin étrangement constitué.
Alors David tournait en rond. Devait-il ramener Adam avant que les autres technocrates ne découvrent sa disparition, ou devait-il le garder, au risque de voir débarquer chez lui la milice et la police privée du président qui ne tarderaient pas à être alertées? Toute sa vie il avait voulu savoir comment fonctionnait ce genre de phénomène, et voilà qu'il en avait un chez lui, patraque mais bien vivant... Non, non, non, il ne pouvait pas le ramener, pas avant d'avoir percé quelques-uns de ses secrets. Ils étaient devenus amis, maintenant, Adam lui était redevable, alors ils allaient pouvoir s'entraider, se confier leurs désirs, leurs pensées intimes. Il suffisait pour celà de "rebrancher" Adam, de lui redonner du tonus. David se creusa la cervelle. Il n'avait pas de bouquins chez lui spécifiant le mode d'emploi pour ressusciter un robot en détresse...Peut-être une ancienne revue, du temps où sa mère était cartomancienne...
Il releva ses manches, mouilla son index et commença à feuilleter.
Le soir tombait, les yeux d'Adam luisaient dans la pénombre. Son costume était tout frippé et son visage était déformé par la torgniole qui lui avait balancé l'obsédé sexuel. David commençait à perdre tout espoir lorsque soudain, allumant sa lampe de chevet, il tomba sur une photo classique, échappée d'un livre de tarots où elle marquait la page d'un chapitre consacré à la chasse aux sorcières. Devant ses yeux ébahis la reproduction d'une fresque de Michel Ange sembla transpercer son esprit : Dieu, barbu et protecteur, donnait vie à Adam en lui touchant l'index. David, tout tremblant, referma le bouquin et se mit à genoux devant son copain Adam. Et il se mit à pointer son index sur les différentes parties de son corps, espérant ainsi trouver le point sensible qui lui permettrait de le refaire fonctionner.
Dès qu'il fut en possession de toutes ses facultés, Adam se mit à commander. Il ne retournerait pas au centre d'expériences où il travaillait. "Ils m'ont déjà remplacé, expliqua-t-il. Ils ne peuvent pas se permettre de chercher un technocrate qui s'est échappé. Ils savent très bien que nous n'avons aucune chance de survie si nous nous retrouvons sans travail. Nous sommes programmés pour faire avancer la recherche, nous ne pouvons pas nous permettre de batifoler des journées entières dans la nature. Nos caprices sont limités. C'est pourquoi tu dois te dépêcher de me trouver le matériau nécessaire pour que je me remettre à travailler de la manière la plus indépendante qui soit, si tu ne veux pas que je me désintégre entre tes doigts".
David passa la semaine entière à récupérer, voler ou acheter toute sorte de matériel électronique en piteux état pour que son ami puisse se rebrancher et se remettre à travailler, alignant les formules et se shootant à la résolution d'équations multiples qui améliorèrent son cerveau perturbé par l'attaque physique dont il avait été l'objet. David se pâmait d'admiration devant lui, il le voyait comme sa création, sa complémentarité, sa revanche absolue sur les années de galère où il secondait sa pauvre mère, obligée pour survivre à tirer les cartes à d'horribles personnages en quête de gloire et de prospérité
Adam, de son côté, s'enorgueillissait de produire, en travaillant seul, beaucoup plus de résultats que les autres technocrates, habitués à travailler ensemble, à se concurrencer et à se contredire, ce qui ne faisait que ralentir leur productivité. Adam, le génie, n'avait de comptes à rendre qu'à lui-même, et sa concentration le faisait avancer à pas de géant vers la connaissance extrème, le point de non-retour dont seule sa propre destruction pouvait arrêter la révélation finale.
David ne sortait presque plus, il restait des heures avachi devant son robot préféré, ivre de son jouet au point de se sentir des raideurs dans les membres. Tout juste essayait-il de temps en temps de recontacter Suzy, dont il n'avait pas perdu l'espoir de reconquérir sinon le coeur, du moins un renouveau dans l'amitié. Mais elle restait infléxible, elle avait eu trop peur.
Parfois, dans son sommeil, elle revoyait ce type essayant de la retenir sur la piste de danse, elle revoyait ses yeux, sa main brutale, elle avait envie de hurler, de le gifler comme cet homme, autrefois, quand elle était petite, qui l'avait saisie par les cheveux alors qu'elle jouait sur le sol, et qui lui avait amené son visage contre son sexe, et elle avait hurlé et pleuré, et il l'avait brutalement laissé tomber par terre avant de disparaître en maudissant la terre entière. Alors elle se recroquevillait sur elle-même et restait de longs moments sans pouvoir surmonter son chagrin.
Pourtant, un mois après cette sinistre aventure, lorsque David l'appela au secours avec des mots tremblants, elle ne put s'empêcher d'aller le retrouver car elle savait qu'il était vraiment désespéré.
Lorsqu'elle entra chez lui, elle le trouva prostré à côté d'Adam qui, lui-même, semblait en proie à une dangereuse apathie. Sur l'un de ses ordinateurs, celui qui se trouvait juste en face de lui, il y avait écrit "JE NE SUIS PLUS LE SEUL. AIDEZ-MOI !".

lundi 11 août 2008

Les Rescapés (suite)

Deuxième Partie (suite) : Marc
Marc se leva sans faire de bruit. Voilà deux jours maintenant qu'il avait cessé de boire. Il se demandait si ça valait la peine de mener ce combat qui ne servait à rien. Les fantômes continuaient à lui rendre visite. Il s'habilla soigneusement. Il était attendu chez le président. Les plans du palais impérial étaient presque finis. Il n'alla pas dans la chambre de Joelle, il savait que c'était inutile. Il longea la piscine déserte : les petites baigneuses n'étaient pas encore arrivées. Juste au moment où il sortait de sa maison, le chauffeur du président arrivait en voiture. Il le salua, s'installa à l'arrière. En démarrant le chauffeur se retourna et, en riant, lui proposa de se servir à boire pour se donner du courage. Marc sursauta. Depuis quand le président connaissait-il sa dépendance à l'alcool? Qui lui en avait parlé? Certainement pas Joelle, elle se moquait éperdûment de ce qu'il faisait ou de ce qu'il ressentait. Qui d'autre? Les trois baigneuses? Avec leurs sourires hypocrites elles devaient pas mal les espionner, sa femme et lui. Il essaya de se calmer. La rue serpentait des résidences comme la sienne, des maisons impossibles à décrire, tant elles semblaient figées. Et pourtant la ville connaissait de grands moments d'activité, mais à certaines heures seulement. Marc essayait de se distraire en regardant les maisons où habitaient des gens qu'il ne rencontrait jamais. Il voulait rester concentré à tout prix, mais des gouttes de sueur commençaient à imbiber son front. Pourquoi ne se précipitait-il pas sur le bar et ne l'ouvrait-il pas pour se servir un verre d'alcool puisque tout le monde connaissait son degré d'ivrognerie? Il se mit à trembler et faillit demander au chauffeur d'arrêter la voiture. Il était un jouet dans les mains du président. Une fois le palais terminé il serait mis à la porte, chassé, répudié. Il n'avait pas le privilège d'avoir un petit-fils gagné en Sainteté! Il fit un terrible effort pour se reprendre car la maison du président apparaissait.
C'était une petite bâtisse toute simple, avec juste un garde devant la porte, et un petit jardin où la femme du président cultivait quelques roses. Marc descendit de voiture et sortit ses maquettes et ses plans. Le garde le salua et le fit entrer dans le couloir d'attente. "Le président vient tout juste de finir son petit déjeuner. Il va vous recevoir dans quelques instants" dit-il en lui désignant un petit fauteuil en velours côtelé. Marc refusa de s'asseoir, de peur de ne pas pouvoir contrôler le tremblement de ses jambes.
En l'espace de quelques secondes il revit tout ce qu'il avait perdu ou gagné. Très jeune, au sein d'un cabinet d'architectes, il avait convoité la fille du patron. Elle avait dix ans de plus que lui et elle était très belle. Il avait fini par l'épouser, au grand dam de ses collègues qui la trouvaient pédante et inaccessible. Ils avaient acheté une petite maison du côté de R***, et comme il ne gagnait pas encore beaucoup d'argent, c'est son patron qui la leur avait offerte, en cadeau de mariage. Mais il avait dû prendre un studio près de l'endroit où il travaillait, tant les offres affluaient et le travail lui demandait de veiller tard le soir et de ne pas retourner à R***. Sa femme adorait leur petite maison de R***. Elle avait engagé un jardinier et elle ne voulait pas entendre parler de ce studio que son mari avait loué. Pour elle il s'agissait tout simplement d'un endroit où il recevait ses maîtresses, et elle se mit à le détester. Leurs relations se détériorèrent très vite et ils furent obligés de divorcer.
"Le président va vous recevoir" dit le garde en lui désignant la porte ornée d'un lourd rideau de velours vert-olive.
Le président lui serra chaleureusement la main et lui montra la longue table, à côté de son bureau, pour qu'il y dépose ses maquettes et ses plans. Puis il appela son adjoint chargé de la confection des bâtiments. Il ne prenait jamais de décision en premier. Il laissait ses conseillers s'exprimer, et ensuite il tranchait. Marc se sentit rassuré, il connaissait l'adjoint et il savait que même si son travail était critiqué, il serait apprécié à sa juste valeur.
Pendant que les deux hommes discutaient en examinant les plans, le président semblait se parler à lui-même. Aucun son ne sortait de sa bouche, mais ses lèvres remuaient sans arrêt. Il possédait un corps bien proportionné, mais plutôt tassé. Il avait dû être très beau étant jeune, avant que ses cheveux ne tombent brusquement. Il avait des mains fines et élégantes qui plaisaient beraucoup aux femmes quand il pratiquait le piano.
Le conseiller aux bâtiments s'inclina devant Marc. "Nous allons garder toutes vos études, lui dit-il, afin de les examiner plus attentivement, et nous vous tiendrons au courant de notre décision, ainsi que des réserves ou modifications que nous aimerions y voir apportées, si toutefois nous en avons trouvées". Le président approuva et le conseiller se retira.
Marc se sentit complétement rassérené, et c'est d'un ton ferme et décidé qu'il fit face au président "Si vous le permettez.." commença-t-il. "Moi d'abord, lui dit l'autre, et il alla s'asseoir devant son bureau. J'ai une requête à vous adresser". Marc blémit un peu mais resta sûr de lui. "Je vous écoute" dit-il. "Votre femme possède l'un des plus beaux joyaux de ma couronne (il rit aussitôt) si tant est que je possède une couronne! Je veux parler de son petit-fils, le jeune Sabuni qui, semble tout à fait pénétré de sa mission au sein de mon gouvernement. Ne vous y trompez pas, je suis moi-même très croyant, et très sensible aux sollicitations surnaturelles de ce jeune homme. Je le sais surtout très animé d'un profond sentiment de vengeance vis-à-vis de ceux qui ont voulu nous anéantir, et je lui en sais gré, d'autant plus qu'il a contribué, par sa science des armements, à renforcer considérablement le pouvoir de mes armées. Mais...(il hésita). Pardonnez-moi, je le crois dépassé par sa mission". Marc le regarda, incrédule. "Je ne comprends pas" bafouilla-t-il. Le président se leva, alla vers lui en l'enveloppant d'un regard indulgent. "Mon cher ami, dit-il en lui posant la main sur l'épaule, nous autres dirigeants nous sommes parfois la proie de soupçons incontrôlables, de prises de conscience qui nous amènent à douter de tout. J'ai le sentiment que ce garçon prépare en secret d'étranges procédures qui pourraient s'avérer dangereuses pour le pays et pour nous tous. Je le soupçonne de donner une telle importance à sa mission qu'il en arrive à se trouver dans l'impossibilité de freiner son envie de pouvoir, et qu'il ne pourra plus, dans un avenir prochain, être capable de contrôler une série de catastrophes qui lui échapperont totalement. C'est pourquoi je vous charge de le surveiller, le plus discrétement possible bien sûr, et de me rendre compte de tout ce qui pourrait vous paraître suspect, dans son attitude, dans son comportement, mais surtout dans le secret de ses projets, qu'il ne semble confier à personne".
Marc était pétrifié. Le président lui jeta un coup d'oeil rapide "Allons, dit-il, remettez-vous. Je sais que ce jeune homme met quelquefois votre femme dans sa confidence. Rapprochez-vous d'elle s'il le faut, trouvez la ruse pour établir sa confiance. Vous en êtes capable, vous êtes un homme fort séduisant". Il y eut un long silence, pendant lequel le président regagna son fauteuil, où il s'assit en poussant un soupir accablant. "Mais, dit-il, je vous ai coupé la parole, tout à l'heure. Vous aviez une requête à me demander". Marc respira profondément et décida de ne pas faiblir. "Puisque nous en sommes aux confidences, s'écria-t-il, je ne vous demanderai qu'une seule faveur : je voudrais que vous retrouviez cette femme!" et il posa la photo de Suzy devant les yeux du président. Celui-ci resta un instant interloqué, et puis il sourit, d'un sourire malicieux "Une maîtresse sans doute" et, devant la soudaine rougeur de Marc "Ne craignez rien, je ne vous trahirai pas, au contraire. Je trouve absolument charmant ce genre de requête, et je l'approuve entièrement. Je me ferai un plaisir de lancer des recherches pour que nous retrouvions cette charmante amie, et je vous tiendrai au courant". Se levant de nouveau, il lui serra la main. "Nous voilà enchaînés, mon ami. Nos secrets nous fragilisent autant qu'ils nous rendent plus forts!".
Marc monta dans la voiture tandis que la sueur recommençait à imbiber son front. Il se pencha vers le bar et ouvrit rapidement la petite porte. Il se remplit un grand verre d'alcool et le porta à ses lèvres tremblantes. "Vous voyez, dit le chauffeur en rigolant, on retourne toujours auprès de ses maîtresses!".

dimanche 10 août 2008

Callas et di Stefano

Lorsqu'ils se retrouvèrent, en 1973-74, pour une série de concerts à travers la planète, Callas et di Stefano purent refaire le monde à leur façon : en visionnant leurs plus glorieux souvenirs : leur premier succès en 1951 à Sao Paulo, et puis les incroyables triomphes au Palacio de Bellas Artes de Mexico (I Puritani - 1952) qui furent suivis, enfin! de la Scala (La Gioconda -Noël 1952) avant la consécration milanaise (Lucia et La Traviata, avec Karajan et Giulini).
Ces années 73-74 furent l'occasion d'une franche camaraderie, et surtout, pour Callas, de retrouver un public qui continuait de l'aduler.
Ensuite, ce ne fut pas vraiment la chute, mais le destin de tout un chacun : Callas, fauchée dans sa pleine maturité, à Paris, en 1977.
Di Stefano est mort le 3 mars 2008, à l'âge de 86 ans. Il avait été agressé par des inconnus, dans sa résidence, près de Mombasa (Kenya) en décembre 2004. Blessé à la tête, il avait été opéré puis évacué à Milan, et depuis décembre 2007 il était demeuré invalide.
Hier, la Chine a montré au monde entier ce que spectacle voulait dire : le bruit de plus de 2000 tambours synchronisés pour inaugurer des jeux olympiques sur-vitaminés où des athlètes de tous pays vont devoir affronter leurs propres angoisses devant l'obligation de gagner des médailles.
En 73-74 Callas et di Stefano avaient cédé la première place à d'autres chanteurs, mais il leur restait la nostalgie, cette grande chimère qui étreint tout un chacun après avoir accompli quelque exploit marquant dans une vie qui n'est, au demeurant, qu'une longue suite de petits et de grands combats contre l'adversité.

mercredi 6 août 2008

Les Rescapés (suite)

Deuxième Partie (suite) : David
La soirée se déroulait au sous-sol de l'auberge. David portait une chemise flottante et des chaussures sans vie, Adam un costume étriqué, et Suzy un rouge à lèvres étonnamment lumineux. Ils descendirent un petit escalier mal éclairé. La salle était rectangulaire : au milieu la piste de danse, à droite un grand établi mal agencé qui portait la sono et le bar, et à gauche un couloir étroit qui aboutissait à une issue de secours. La lumière était pauvre, quelques chaises tapissaient le couloir, et la soirée était déjà engagée. La boisson était la même pour tout le monde : un liquide brun qui avait été préparé à l'avance et qui emplissait toute une série de verres. Sur la piste, une vingtaine de danseurs, assez mal répartis du côté des femmes. Suzy prit un verre et but du bout des lèvres. David connaissait un certain nombre de personnes, et il souriait en dodelinant de la tête au son de la musique. Un homme assez robuste s'avança aussitôt devant Suzy et l'invita à danser. Il était torse nu. Elle lui jeta un regard horrifié mais se résigna, pour ne pas paraître stupide, à faire quelques pas sur la piste avec lui. David parlait d'une façon très décontractée à Adam qui se tenait un peu courbé, les mains jointes, et qui regardait autour de lui avec des yeux ronds et étonnés. Suzy avait fini sa danse et s'apprêtait à s'éloigner de la piste mais l'homme la retint par le bras. Il lui parla, mais la musique couvrit sa voix. Elle sentit la pression de sa main et elle se dégagea. Elle recula vers les deux hommes mais, apparemment, ils n'avaient fait aucun cas de l'incident. David continuait de parler avec volubilité à Adam qui conservait le même air étonné, à la limite de l'ahurissement. Suzy reprit son verre et but le liquide brun en s'apercevant que sa main s'était mise à trembler. Elle essaya de se contrôler. D'autres types avaient retiré leur chemise et se dandinaient sur la piste de danse tandis que les femmes tapaient des mains au rythme de la musique. Adam se tourna vers elle comme s'il voulait échapper au bavardage de David et elle s'aperçut que son visage était couvert de sueur. Elle se demanda à quel moment elle allait paniquer, se mettre à hurler ou s'enfuir en courant. Remonter les escaliers lui paraissait impossible à cause de la foule qui s'y agglutinait, et il ne restait plus que l'issue de secours au fond du couloir. Elle tituba un peu sur ses espadrilles finement lacées. Elle essaya de ne pas faire tomber son verre en le posant sur l'établi. Au moment où elle levait la tête, l'homme au torse nu se dressa devant elle. Elle saisit le bras d'Adam et s'y accrocha. Celui-ci tourna lentement son visage en sueur vers le type qui voulait forcer Suzy à retourner sur la piste avec lui. David regardait le trio, médusé, incapable de comprendre ce qui se passait. Soudain le type, les yeux fièvreux, leva la main et frappa violemment Adam au visage. Celui-ci chancela et s'écroula, comme s'il se cassait en morceaux. Réagissant avec une rapidité étonnante pour quelqu'un qui était resté si longtemps impassible, David soutint Adam et l'entraîna vers l'issue de secours en faisant signe à Suzy de les suivre. Elle repoussa de nouveau l'homme qui voulait la saisir et courut derrière eux. Les danseurs continuaient de danser, torse nu, et les femmes tapaient des mains en se trémoussant en cadence.

mardi 5 août 2008

D'une prison à l'autre

Il y a, grâce à la télévision, deux prisons célèbres en Amérique :
-Emerald City
-Fox River
Emerald City, c'est OZ, et Fox River, c'est Prison Break. Si la seconde s'est imposée plus rapidement que la première, c'est qu'elle s'adresse à un public habitué aux feuilletons ALIAS ou 24H CHRONO, c'est-à-dire à un vaste public concerné par les séries policières à suspense. Dans Prison Break, on ne verra jamais les prisonniers sous la douche, pas plus qu'il n'y avait de scènes déshabillées dans ALIAS. Le sexe est suggéré, mais jamais montré. Ceci afin d'éviter l'interdiction aux mineurs.
Dans OZ c'est tout le contraire, les scènes de douche, les viols, les agressions sexuelles sont monnaie courante et ne sont pas édulcorées. En celà, cette série a eu du mal à voir le jour en France, où la pudibonderie est monnaie courante.
Les rebondissements de Prison Break sont tout à fait artificiels, alors que dans OZ, ils obéissent à une logique implacable, celle de la loi des gangs (flics, nazis, musulmans, ritals, etc) qui se défient sans arrêt et n'arrivent que rarement à s'entendre.
Dans la deuxième saison de Prison Break, une fois libérés, les protagonistes vont devoir retrouver leurs marques dans la vie civile. Ils le feront avec plus ou moins de bonheur, mais à la fin, dans le dernier épisode, un élément étrange viendra jeter le trouble dans ce qui, jusque-là, n'était qu'un engrenage minutieusement huilé de courses-poursuites et coups de gueule omniprésents : le gentil Michaël se retouve en prison, mais dans une prison qui ressemble bizarrement à celle d'Emerald City. On le voit en effet errer dans des couloirs sordides où des prisonniers, debout ou vautrés sur le sol, le dévisagent avec des regards d'une lubricité qui était totalement absente de la première saison. Et l'on se prend à espérer en une 3ème saison qui serait beaucoup plus conforme à la réalité et qui deviendrait une sorte de pont reliant enfin les deux établissements pénitenciers...

vendredi 1 août 2008

Les Rescapés (suite)

Deuxième partie (suite) : Suzy
Suzy regarda autour d'elle le long couloir qui l'amenait vers la lumière. Elle n'entendait aucune voix, ni à l'intérieur du couloir, ni au dehors. Elle n'avait pas froid, elle n'avait pas peur. Juste une simple lueur faisait briller son rouge à lèvres et nimbait sa poitrine aux contours gracieux. Elle n'avait pas hâte de retrouver la rue, les places, les lampadaires. Si elle s'était retournée, elle aurait pu voir les lames luisantes de la plage qu'elle venait de quitter, mais elle ne se retourna pas. Le couloir était comme un tunnel. Quelques excréments d'animaux et d'humains sillonnaient le passage. Elle marchait à pas lents. Dans sa tête embrumée, d'étranges souvenirs revenaient la hanter. Des vieux films repassaient inlassablement sur le grand écran du cinéma du canal lorsque les bombardements avaient éclaté. Une grande blonde, près d'un kiosque à journaux, sur une des places de V***, avait éclaté en morceaux comme une poupée en celluloïd. Les barques tournoyaient sur elles-mêmes, jusqu'à l'infini, sous un pont encombré de cadavres. Elle fit le dernier pas pour se retrouver à l'air libre. La plage continuait encore mais la ville était toute proche. Une ville fantôme, entre destruction et reconstruction. "Si vous connaissez un architecte, lui avait dit le tenancier de l'auberge où elle avait échoué, faites-le venir illico. Nous avons besoin de retrouver un semblant d'identité!". "Nous dansons sur un champ de ruines" lui avait dit David, dans le métro désaffecté. Elle réalisait peu à peu qu'elle se trouvait dans une ville inconnue, imprévue, innommable.
"Je connais bien les technocrates, dit David. Je les amuse quelquefois, mais c'est rare. Ils ont tous un sourire crispé, et tu sais quoi : ils ne baisent jamais. Pas de porno, pas de branlette. Ils tirent leur inspiration de l'abstinence. Ils ont des visions. Plus ils maitrisent leurs pulsions et plus leurs visions sont précises, jusqu'à dessiner dans les moindres détails les instruments qui redonneront à ce monde en décomposition une résurrection définitive. "
Suzy marcha sur le sable que la pluie du matin avait humidifié. Elle aimait ces traces étranges que laissaient les oiseaux, comme un langage secret, les hiéroglyphes d'une espèce fragile. Elle ne se souvenait plus de la date de son arrivée dans cette bourgade, et celà ne lui déplaisait pas d'avoir oublié ses repères, elle ne cherchait pas à rassembler les éléments d'un passé qu'elle pensait révolu.
"J'ai un ami technocrate, dit David, tu le verras peut-être ce soir. Il sort quelquefois de chez lui, tu sais! Enfin, quand je dis "chez lui" ce n'est pas vraiment chez lui. C'est le centre d'études, au-dessus de la ville, où ils sont tous rassemblés comme des automates! (Il rit d'un rire bizarre). D'ailleurs je ne sais pas comment il fait pour leur fausser compagnie, ou alors il a un secret, ou alors tous les autres petits génies qui sont parqués avec lui ont tellement les neurones bloqués par leurs performances qu'ils ne songent même pas à sortir de leur trou...".
Suzy préférait ce début de nuit, où l'horizon s'est reposé. Elle n'arrivait pas à comprendre pourquoi sa vie avait été si simple, pour déboucher maintenant sur un tel amas d'incohérence. "Si vous connaissez celui qui tire les ficelles de tout ce merdier, avait dit l'aubergiste, faites-le moi savoir, pour que j'aille lui dire deux mots". Elle pensait vraiment que la vie pouvait être très linéaire, avec seulement les contradictions quotidiennes, mais la brutalité des événements pouvait tout chambouler.
"Tu comprends, lui expliqua David, la reconstruction est primordiale. Tu peux bien, de temps en temps, abattre une tour pour en construire une autre, plus grande, plus haute, toujours plus haute, mais tu te trouves rapidement devant une impasse. Tu sens la frustration, tu n'as fait que refaire une partie de toi-même. Il faut bien que tu avances, que tu marches jusqu'au précipice, quitte à détruire devant toi tout ce qui perturbe ta marche. Tu dois aller jusqu'au bout, non? tu ne crois pas? A condition d'être un survivant, bien entendu!".
Un survivant, dit-elle. Ou un rescapé.
Elle franchit la séparation qui limitait la plage de la rue principale. "Ah! dit David. Te voilà enfin! Je te présente Adam, mon ami technocrate".