jeudi 23 avril 2009

les satisfactions intérieures (8)

La visite du père (suite).
- Quand avez-vous quitté Tours? demanda Erly.
Père le fixa, ses grosses mains étaient posées sur la table, l'une près de l'autre, elles se rejoignirent.
- Tard dans la nuit, dit-il. Il y faisait encore très chaud.
Suzanne posa un bol devant lui, il leva la tête et vit ses cheveux suspendus dans la clarté, presque blonds.
- J'ai amené beaucoup d'argent, dit-il.
- La question n'est pas là! répliqua nerveusement Erly.
Il émiettait son pain, tête basse et épaules courbées. Suzanne s'assit près d'eux et ils com-
mencèrent à manger.
-Tout à l'heure, je vous montrerai votre chambre, dit-elle.
Les arbres du jardin s'étiraient vers le ciel limpide et la grille de l'allée était mouillée de gouttes fraîches qui accentuaient la couleur sombre de la rouille.
Erly avait fini de manger, il repoussa sa chaise et se leva. Il fixait père qui buvait lentement. En se levant, Suzanne sentit un tressaillement devant ses yeux, portant son regard sur la fenêtre elle vit une ombre traverser le jardin. Etait-ce l'épicier? Grand-mère lui avait dit que quelqu'un venait toutes les semaines apporter à manger. Il déposait une grande caisse devant la porte et il repartait sans se faire voir. Elle prétendait qu'elle ne l'avait jamais vu. Elle lui laissait la caisse vide avec de l'argent dedans.
Père avait posé son bol.
- Venez, dit Erly, je voudrais vous parler.
Ils se dirigèrent vers le magasin. Père passa devant Suzanne et la regarda, mais ses yeux étaient posés sur le jardin. Le soleil était apparu dans les feuilles et les ombres des arbres étaient grises.
Elle sortit et se mit à marcher dans l'allée. Entre deux arbres un papillon noir se mit à voler, se dirigeant vers elle, glissant vers les branches d'un arbre, le soleil faisait briller ses ailes comme du velours. Et brusquement il s'arrêta, ses ailes se tordirent, révélant un enlacement miroitant de fils d'argent dans lesquels elles venaient de se prendre. Rapidement, une grosse araignée sortit d'un trou de l'arbre et courut sur la toile enfermer le papillon. Une goutte de sang s'échappa du corps torturé et, lentement, tomba de fil en fil jusqu'à s'épuiser complètement, traçant un sillage rougi dans l'air.
- Dites-moi, demanda Erly, quelqu'un n'est pas venu pendant que vous étiez encore à Tours?...Une femme...
- Une femme? s'écria père. Quelle femme?
- Une femme qui m'aurait demandé...
- Non, non! Je ne vois pas de quoi tu veux parler!
Ses yeux s'étaient écarquillés et la sueur réapparaissait sur son front. Erly le toisa avec mépris :
- Ca ne fait rien, dit-il, laissez tomber. C'est sans importance.

La porte de la chambre de Grand-mère était ouverte, elle était occupée à regarder les photos qui se trouvaient dans le tiroir de la commode. Son visage semblait attentif, concentré. Dans le couloir, Suzanne prit la lampe et entra dans la chambre attenante. "C'est là que je vais mettre Père" se dit-elle. Elle s'approcha du lavabo. Un cafard glissait sur les bords et retombait sans arrêt, ne pouvant arriver à remonter jusqu'en haut. Elle regarda autour d'elle : la pièce était petite, presque sordide, avec une lucarne au plafond et sur les murs un papier peint usagé qui laissait voir les pierres grises du mur, par endroits. Mais le lit semblait solide. Elle souleva la lampe et essaya d'écraser le cafard. Il se mit à courir, trébucha, tomba, se tordit, couché sur le dos, les pattes en l'air. Finalement, elle abandonna, et il reprit sa course, montant et descendant sans parvenir à s'échapper.

- C'est une drôle de maison, dit père. Je ne m'attendais pas à un tel abandon.
Il la suivait dans l'escalier. Il tenait sa valise à la main et elle faisait du bruit en heurtant la rampe, Suzanne montait tranquillement, le corps droit, et la lumière de la lampe semblait atteindre le plafond, les ombres couraient sur les murs comme les ailes d'oiseaux nocturnes, très mouvantes elles se précipitaient vers le plafond où elles se rejoignaient en dansant.
Suzanne s'arrêta, il ne l'avait pas vue, il se rattrapa à sa taille pour ne pas la heurter.
- Où couches-tu? dit-il.
- Au premier.
- Et Erly?
- Au second. Je vais vous installer près de Grand-mère.
- Pourquoi?
Il posa sa valise sur une marche et sortit son mouchoir de la poche de son pantalon, elle continua de monter, les ombres dansèrent et se refermèrent derrière elle.
- Attends-moi, dit-il.
Il s'essuya rapidement.
- Attends-moi! Suzanne!
Elle s'arrêta. Il s'était essuyé les yeux, la bouche, sa main tremblait.
- Vous vous souvenez de mon prénom? dit-elle.
Il remit vivement son mouchoir dans sa poche, il reprit sa valise, il monta l'escalier, sa valise tapa plus fort contre le mur et la rampe en fer forgé, il la rattrapa.
- Pourquoi? dit-il. Pourquoi ne me souviendrai-je pas de ton prénom?
Il la fixait, la bouche tremblante.
- J'ai commis des fautes, dit-il. Mais je ne suis tout de même pas totalement ingrat.
- Quelles fautes? dit-elle tout bas.
Elle repensa au cafard, peut-être avait-il réussi à quitter le lavabo...
- Je suis venu pour me faire pardonner, dit-il d'une voix émue.

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