mercredi 22 avril 2009

les satisfactions intérieures (7)

La visite du père (suite).
Suzanne baissa la tête et ses mains se réunirent devant elle, un poids accablait ses épaules : son père, et le père d'Erly sans aucun doute. Ils étaient frère et soeur, et maintenant ils avaient un père. Mon Dieu, dit-elle tout bas en serrant les mains, faites que je n'en sois plus à avoir complètement oublié mon père au point de ne plus le reconnaître dans cet homme, faites que ces quelques mois passés dans cette maison n'aient pas apporté des bouleversements dans mon coeur tels que je ne puisse m'interroger fermement et me prouver que j'ai oublié l'existence même et la forme de mon père.
Dans la chambre, Erly dormait et le jour n'était pas encore levé, ils étaient dans une saison morte, les feuilles restaient suspendues, rares, aux arbres figés, le jardin se peuplait de feuilles et toute la journée le ciel était couvert, comme si la pluie menaçait continuellement, mais il ne pleuvait pas, il ne pleuvait jamais, le ciel restait gris, la brume s'attardait entre les arbres tard le matin et réapparaissait à l'approche de la nuit. Erly était couché et son épaule nue sortait, le drap couvrait son corps, il dormait avec douceur, le visage détendu. Suzanne s'assit près de lui. Sa main droit était ouverte, et elle la sentait prête à serrer la sienne, mais elle ne voulait pas encore l'éveiller. Elle alla à la fenêtre, l'ouvrit. La nuit était douce et paisible, le ciel couvert de brume se dissipait, les brumes rampaient et semblaient s'éloigner de plus en plus, s'écartant pour découvrir une fluidité, une clarté lointaine et encore inaccessible. Les arbres étaient sombres et figés, les branches fines et multiples, se découpant de façon précise sur le ciel balafré. Elle se retourna et vit l'épaule d'Erly, ronde, éclairée faiblement, et le drap blanc, sillonné de petits plis interminables. Son visage était dans l'ombre mais les paupières s'apercevaient, finement fermées, la bouche aux lèvres closes, le menton bien dessiné, le cou et la main droite, abandonnés. Elle ferma la fenêtre, il tressaillit. Il se tourna sur le dos, découvrant sa poitrine, son visage restait le même, abandonné, et dans la fragilité de ce corps puissant, lorsqu'elle s'assit près de lui et saisit sa main, elle vit le poignet et les veines très douces, bleutées, où le sang devait couler quelque part, le poignet était lourd dans sa main. Elle se pencha vers son oreille et murmura :
- Tu te souviens de père?
Le visage frémit. Il ouvrit les yeux et la regarda, sans bouger son corps toujours endormi, le regard sans expression. Puis son corps bougea et elle tressaillit, lâchant sa main. Il s'assit dans le lit, le dos posé contre l'oreiller redressé, le drap était tombé, sa poitrine et son ventre nus, la chair était lisse dans la caresse de la pénombre.
- Qu'est-ce que tu as dit?
Sa voix lui parvint comme un murmure. Il avait froncé les sourcils, très doucement, et il la regardait, les mains posées sur le drap du lit, légèrement repliées, comme courbées.
- Père, dit-elle tout bas, tu te souviens de père?
- Mais oui, dit-il.
Son regard s'inclina vers le drap.
- Voyons, dit-il, je me souviens très bien de lui.

Aucun commentaire: