vendredi 3 octobre 2008

La Fusion

La MANON de la Staatskapelle de Berlin arrive enfin en DVD. Production de luxe et vision cinématographique de deux amants maudits par leurs enfantillages.
Rôle de prédilection pour le ténor Villazon? Il faillit être prêtre, mais trop bouillant sans doute, trop impétueux pour rester à genoux et lever les yeux vers le Ciel. Rôle qu'il gravera ensuite de nouveau à Barcelone avec Natalie Dessay, dans la même fougue torturée qui reléverait presque d'une psychanalyse à laquelle Rolando ne s'est jamais dérobé.
Mais ici, à Berlin, il a dans ses bras une Netrebko qui n'a plus la candeur des Juliette qu'elle chanta justement avec lui sur d'autres scènes. La voilà Traviata Française, avec pour maladie le goût du luxe, des stars mythiques d'un Hollywood qui la fait rêver mais qu'elle ne connaîtra jamais.
La fusion des deux interprètes est unique, aussi bien charnelle que vocale. Ils sont à peu près du même age (35-36 ans, je crois) et ils ont l'alchimie, le feu sacré, le besoin de se donner, dans des décors et une mise en scène de rêve. Les voir dans le duo de Saint-Sulpice tient du miracle : elle, en robe rouge, essayant de le retenir par sa soutane, c'est le Péché face à la Croix, et quand il succombe, ce n'est pas de joie, c'est de désespoir car il sait déjà que tout est perdu : son visage torturé dans l'amour n'a jamais exprimé autant de doute, autant de renoncement et autant de fatalité. Et dans l'hôtel de Transylvanie (avec un nom pareil on pourrait presque croire que seul l'Orient Express peut vous y mener alors que ce lieu de jeux interdits existait bien à Paris, quai Malaquais) lorsqu'il chantera "Manon, sphynx étonnant" c'est la stupéfaction devant sa propre dépendance qu'il exprimera, tandis que la frivole se donnera en spectacle en proclamant "A nous les amours et les roses, qui sait si nous vivrons demain?".
Oui, parce que DEMAIN n'existe pas, n'a jamais existé, c'est un leurre. La phrase que prononce Manon est terrible : "Qui sait si nous VIVRONS demain". Presque inconsciemment, devant ce public qui admire sa beauté, elle sait que ses jours sont comptés, alors pourquoi ne pas les vivre en sacrifiant l'avenir? Au début elle devait entrer au couvent et la voilà maintenant poussant son amant à jouer aux cartes dans un tripot clandestin. Montesquieu parlait de l'histoire d'un "fripon" et d'une "catin". C'est un peu vrai, mais avec Massenet et les mises en scène modernes, on parierait plutôt sur l'histoire d'un "paumé" et d'une "jouisseuse".

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