lundi 13 octobre 2008

Vacances à Saint-Cyprien

Le chanteur de Depeche Mode n'avait pas pris un poil de graisse en 10 ans d'existence. Peut-être même avait-il encore maigri. Il était maigre comme un coup de bambou. Ces bambous qui retiennent le sable de la plage de Saint-Cyprien. Tous les après-midi un mec faisait son cinéma sur la plage de Saint-Cyprien. Il était beau, avec cette gueule et ce corps des vrais mâles qui ont donné leur vie à l'harmonie de leurs formes et à l'entretien d'une virilité non exempte d'un certain masochisme : souffrir pour que les muscles saillent. Le crane presque rasé mais la tête bronzée, il allait sur le bord du rivage, toujours vêtu d'un slip ou d'un short de couleur différente, et il arpentait, les pieds presque dans l'eau, d'un bout à l'autre, et puis il revenait, se dandinant d'une manière calculée avec le rythme de son baladeur fixé dans ses oreilles en reluquant de temps à autre l'effet qu'il produisait sur les spectateurs plus ou moins consentants qui jetaient sur sa musculature un regard envieux ou compatissant. Je ne le vis jamais nu.
Cette beauté du corps, cette névrose obsessionnelle de l'harmonie des formes hanta très tôt les bases de mon adolescence sans que je fis le moindre effort pour en expérimenter le mode d'emploi. Je béais d'admiration devant une paire de biceps sans jamais éprouver le besoin de soulever le moindre haltère. L'amour fou, au demeurant, représentait une sorte d'acceptation de soi qui signifiait que toute transformation physique ou morale ne pouvait être qu'un signe d'aberration mentale. A 11 ans, délaissé du soutien de ma soeur, je devins brusquement adulte, j'oubliai le théâtre enchanté de l'épicerie de ma grand-mère, et je découvris à mes côtés un frère de 3 ans plus âgé que moi dont j'avais jusqu'à ce jour totalement déféqué l'existence.
Comme mon frère fuyait l'école, baisait et chapardait à droite et à gauche, luttant de toutes ses forces contre une vie sociale qui l'étouffait, je savais pertinemment que cet entracte affectif serait bref et se terminerait mal, mais j'ignorais où et quand se déroulerait la scène finale. En attendant, je me contentais de l'observer et de me conduire d'une façon exactement contraire à ses agissements : je fréquentais assidûment le collège, je refusais la baise et je devenais extrèmement radin.

Le soir tombait sur Collioure lorsque nous sortîmes du Tapas. L'orage se devinait derrière le vieux château des Templiers, couronnant de crêtes sombres tout le sommet de la montagne. Je me sentais à l'aise comme toutes les fois où j'avais bu du bon vin. Le vent soufflait trop fort pour que l'on ne perçut pas dans l'air la certitude d'une dégradation à plus ou moins terme. A travers les vignes, les ruines du château paraissaient à portée de la main, mais Fernand refusa de m'y accompagner. Sur le port un orchestre jouait très faux un pot pourri de musiques populaires où je reconnus Argentina. Quelques tableaux de peintres étaient exposés le long des murs. Les lampions des terrasses des cafés prenaient des teintes plus ardentes face au ciel obscurci. Christine commanda une Aqua-Menthe mais le serveur lui répondit que ce n'était pas la saison. Je le regardai avec curiosité. Il était très beau : des cheveux bruns, un visage très fin, une poitrine velue offerte dans l'ouverture de sa chemise. Une fois le serveur parti, je dis à Christine "Nous sommes le 30 juin. Nous aurions dû venir demain. Je suppose que la saison commence le 1er juillet. Tu aurais eu ton Aqua-Menthe". Nous nous mîmes à rire et lorsqu'il revint nous ne pouvions plus nous empêcher de rigoler. Je lui demandai de nouveau pourquoi il n'avait pas d'Aqua-Menthe alors que le nom figurait sur la carte qu'il nous avait présentée. Il répliqua "Il ne fait pas assez chaud". Christine n'osait même plus le regarder tellement elle rigolait. "Qu'est-ce qu'elle a votre copine? me dit-il. C'est ma tête qui la fait rire?" - "Mais non , pas du tout! m'écriai-je. Elle vous trouve très beau". Christine faillit s'étouffer en buvant le jus d'ananas qui remplaçait son Aqua-Menthe. "Ca alors c'est un peu fort! dit-elle quand il eut disparu. C'est toi qui le trouves beau et tu lui dis que c'est moi! Tu exagères!". Nous en rimes durant tout le parcours du retour. "Tu n'as pas vu comme il était beau?" dis-je à Stephane. "Non, je n'ai pas fait attention". Il conduisait très vite, mais avec cette sûreté des hommes qui ne s'en laissent pas conter. Sans doute parce qu'il était heureux en ménage et qu'il n'avait pas besoin de s'énerver. Stephane conduisait comme Eric. J'avais pris l'habitude des hommes qui conduisent vite et bien. Je ne supportais plus les mauvais conducteurs. A peine dans leurs voitures, je me sentais mal à l'aise et j'avais envie de redescendre. J'admirais l'équilibre de Stephane et je comprenais que Christine se sentit bien avec lui. Il y avait en elle une fêlure qui avait besoin d'être comprise, d'être réparée. Je partageais cette fêlure mais je ne pouvais plus prétendre au réconfort. Le temps passait trop vite pour moi. Je voulais aimer, encore et encore, et provoquer l'amour, pour m'imprégner de sa vitalité. Plus j'aimerais et plus le temps s'arrêterait, et cinq ans après, devant l'émerveillement d'un nouvel amour, je me dirais "Je suis encore baisable".

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