mercredi 22 octobre 2008

L'entêtement

Soeur Emmanuelle est décédée et, au-delà de son message, répété inlassablement "Aimons-nous, aimez-vous les uns les autres" restera l'image d'une femme extrémement têtue, que sa Foi inébranlable maintenait debout, la tête haute, le regard clair.
Elle parlait à Dieu tous les jours et Il lui répondait. Elle voulait être fière de Lui.
Elle a commencé à "travailler" à 60 ans, alors que les autres pensent à leur retraite, et elle a pris le chemin le plus dur, en débutant par le bas, et contrairement à ces milliardaires qui se vantent d'avoir gravi les échelons à la force du poignet jusqu'au sommet du plus haut building, elle s'est maintenue physiquement au ras du sol alors que son âme ne cessait de monter, vers Celui qu'elle a retrouvé avec joie après sa mort.
Elle a dit "Si l'au-delà n'existe pas, alors la vie ne sert à rien". Elle avait raison : la vie ne sert à rien si l'on n'est pas croyant. Elle a cru, ce fut sa Force, et son Pouvoir.

lundi 20 octobre 2008

Un Rêve

Tard dans la nuit, ou peut-être tôt le matin, je fis un rêve étrange. J'étais dans une maison, sans doute celle de Tours, avec mes parents, et il fallait partir. Etions-nous là à la suite d'un décès ou pour la vente de meubles, je ne sais pas. Toujours est-il qu'une fois de plus le fait de repartir avec eux ne me disait rien qui vaille. Nous nous dirigions vers la gare et comme ils marchaient devant moi je fis tout pour les semer. Je me retrouvai dans un endroit étrange, une sorte de ville avec des monuments anciens, un peu comme Rome. Il y avait des quartiers entiers de vieux temples ou églises, et la nuit tombait de plus en plus rapidement. Je n'avais plus de repères. J'avisai un homme qui se trouvait dans une encoignure de porte. Les cheveux bouclés, les yeux maquillés, il portait une tunique et un collant de couleur grise, comme dans le Satyricon de Fellini. Je lui demandai où se trouvait la gare. Il me répondit "Je vais vous y conduire, Mademoiselle". Je répliquai aussitôt "Je ne suis pas une Demoiselle". "Si vous n'êtes pas une Demoiselle, efféminé comme vous êtes, alors vous êtes un pédé". Je lui fis remarquer que lui aussi pouvait passer pour un pédé puisque, malgré sa stature et sa tunique qui moulait un torse musclé, il était maquillé et portait un collant qui soulignait ses fesses. Il se mit à rire et me précéda. Je le suivis, frottant mon avant-bras contre le galbe de ses fesses.
Je n'essayai pas d'analyser mon rêve. Je le rapprochai de celui que j'avais fait avant de partir en vacances : la maison de Tours, mais l'étage au-dessus. Beaucoup de monde dans les chambres. Les volets tirés pour cacher la lumière. Je devais être debout à 4 heures du matin pour partir avec les autres. Je me réveillai sans problème mais j'eus le tort de descendre à l'étage au-dessous alors qu'on me l'avait formellement interdit. J'ouvris la porte de la cuisine et découvris ma mère, avec un jeune garçon. Je fus frappé par le visage de ma mère : celui que j'aurais dans dix ans. Je refermai la porte et montai l'escalier, l'esprit troublé. Tout le monde était parti. Toutes les pièces étaient vides. Un sentiment d'abandon m'accabla. Une fois de plus je me retrouvais en face de mes propres désillusions, un manque de confiance dans mes propres capacités, une suite de rendez-vous manqués par paresse. Je préférais filer le parfait amour avec l'inconnu plutôt que de me lancer dans des perspectives d'avenir fondées sur des bases qui me semblaient précaires. Il fallait sans doute voir là le besoin d'aimer au-delà des normes, la méfiance vis-à-vis d'une famille décevante et l'absolue inefficacité de toute projection future.

lundi 13 octobre 2008

Vacances à Saint-Cyprien

Le chanteur de Depeche Mode n'avait pas pris un poil de graisse en 10 ans d'existence. Peut-être même avait-il encore maigri. Il était maigre comme un coup de bambou. Ces bambous qui retiennent le sable de la plage de Saint-Cyprien. Tous les après-midi un mec faisait son cinéma sur la plage de Saint-Cyprien. Il était beau, avec cette gueule et ce corps des vrais mâles qui ont donné leur vie à l'harmonie de leurs formes et à l'entretien d'une virilité non exempte d'un certain masochisme : souffrir pour que les muscles saillent. Le crane presque rasé mais la tête bronzée, il allait sur le bord du rivage, toujours vêtu d'un slip ou d'un short de couleur différente, et il arpentait, les pieds presque dans l'eau, d'un bout à l'autre, et puis il revenait, se dandinant d'une manière calculée avec le rythme de son baladeur fixé dans ses oreilles en reluquant de temps à autre l'effet qu'il produisait sur les spectateurs plus ou moins consentants qui jetaient sur sa musculature un regard envieux ou compatissant. Je ne le vis jamais nu.
Cette beauté du corps, cette névrose obsessionnelle de l'harmonie des formes hanta très tôt les bases de mon adolescence sans que je fis le moindre effort pour en expérimenter le mode d'emploi. Je béais d'admiration devant une paire de biceps sans jamais éprouver le besoin de soulever le moindre haltère. L'amour fou, au demeurant, représentait une sorte d'acceptation de soi qui signifiait que toute transformation physique ou morale ne pouvait être qu'un signe d'aberration mentale. A 11 ans, délaissé du soutien de ma soeur, je devins brusquement adulte, j'oubliai le théâtre enchanté de l'épicerie de ma grand-mère, et je découvris à mes côtés un frère de 3 ans plus âgé que moi dont j'avais jusqu'à ce jour totalement déféqué l'existence.
Comme mon frère fuyait l'école, baisait et chapardait à droite et à gauche, luttant de toutes ses forces contre une vie sociale qui l'étouffait, je savais pertinemment que cet entracte affectif serait bref et se terminerait mal, mais j'ignorais où et quand se déroulerait la scène finale. En attendant, je me contentais de l'observer et de me conduire d'une façon exactement contraire à ses agissements : je fréquentais assidûment le collège, je refusais la baise et je devenais extrèmement radin.

Le soir tombait sur Collioure lorsque nous sortîmes du Tapas. L'orage se devinait derrière le vieux château des Templiers, couronnant de crêtes sombres tout le sommet de la montagne. Je me sentais à l'aise comme toutes les fois où j'avais bu du bon vin. Le vent soufflait trop fort pour que l'on ne perçut pas dans l'air la certitude d'une dégradation à plus ou moins terme. A travers les vignes, les ruines du château paraissaient à portée de la main, mais Fernand refusa de m'y accompagner. Sur le port un orchestre jouait très faux un pot pourri de musiques populaires où je reconnus Argentina. Quelques tableaux de peintres étaient exposés le long des murs. Les lampions des terrasses des cafés prenaient des teintes plus ardentes face au ciel obscurci. Christine commanda une Aqua-Menthe mais le serveur lui répondit que ce n'était pas la saison. Je le regardai avec curiosité. Il était très beau : des cheveux bruns, un visage très fin, une poitrine velue offerte dans l'ouverture de sa chemise. Une fois le serveur parti, je dis à Christine "Nous sommes le 30 juin. Nous aurions dû venir demain. Je suppose que la saison commence le 1er juillet. Tu aurais eu ton Aqua-Menthe". Nous nous mîmes à rire et lorsqu'il revint nous ne pouvions plus nous empêcher de rigoler. Je lui demandai de nouveau pourquoi il n'avait pas d'Aqua-Menthe alors que le nom figurait sur la carte qu'il nous avait présentée. Il répliqua "Il ne fait pas assez chaud". Christine n'osait même plus le regarder tellement elle rigolait. "Qu'est-ce qu'elle a votre copine? me dit-il. C'est ma tête qui la fait rire?" - "Mais non , pas du tout! m'écriai-je. Elle vous trouve très beau". Christine faillit s'étouffer en buvant le jus d'ananas qui remplaçait son Aqua-Menthe. "Ca alors c'est un peu fort! dit-elle quand il eut disparu. C'est toi qui le trouves beau et tu lui dis que c'est moi! Tu exagères!". Nous en rimes durant tout le parcours du retour. "Tu n'as pas vu comme il était beau?" dis-je à Stephane. "Non, je n'ai pas fait attention". Il conduisait très vite, mais avec cette sûreté des hommes qui ne s'en laissent pas conter. Sans doute parce qu'il était heureux en ménage et qu'il n'avait pas besoin de s'énerver. Stephane conduisait comme Eric. J'avais pris l'habitude des hommes qui conduisent vite et bien. Je ne supportais plus les mauvais conducteurs. A peine dans leurs voitures, je me sentais mal à l'aise et j'avais envie de redescendre. J'admirais l'équilibre de Stephane et je comprenais que Christine se sentit bien avec lui. Il y avait en elle une fêlure qui avait besoin d'être comprise, d'être réparée. Je partageais cette fêlure mais je ne pouvais plus prétendre au réconfort. Le temps passait trop vite pour moi. Je voulais aimer, encore et encore, et provoquer l'amour, pour m'imprégner de sa vitalité. Plus j'aimerais et plus le temps s'arrêterait, et cinq ans après, devant l'émerveillement d'un nouvel amour, je me dirais "Je suis encore baisable".

jeudi 9 octobre 2008

Rappel à l'Ordre

Dans les années 50 mon père avait acheté l'intégrale des symphonies de Beethoven (en 33 tours, bien entendu, et par Karajan, certainement). Le coffret trônait dans le salon. Mais il n'y avait pas de reproductions de Picasso sur les murs. Non. Quand nous nous promenions, ma famille et moi, le week-end, et que mon père regardait les vitrines ou les étalages des peintres du dimanche, lorsqu'il voyait un tableau qui ne lui plaisait pas il disait "C'est du Picasso!".
Bien des années après, lors d'une seule et unique matinée de pluie à Antibes, je me réfugiai au Musée de la ville. Parmi les oeuvres de Picasso (que je ne recherchais pas) il y avait, bien sûr, des peintures, des sculptures, mais aussi des assiettes. Et c'est en voyant ces assiettes que je commençai vraiment à me passionner pour ce génie.
Le plus marrant c'est que je lus dans un magazine, encore plus tard, que J.Luc Godard n'aimait pas du tout les assiettes de Picasso et que pour lui elles étaient toutes à jeter à la poubelle.
Aujourd'hui, alors que la Crise devient de plus en plus évidente, et qu'elle va entraîner un nombre considérable de chômeurs et de déréglements en tous genres, le Grand Palais rend un vibrant hommage à l'artiste, et Paul Newman vient de mourir.
Quel rapport?
Quel rapport entre deux êtres intègres qui vécurent "de" et "pour" leur art, et le basculement de certains spéculateurs avides de s'enrichir aux dépens des autres qui poussèrent le système jusqu'à un point de non-retour qu'il va va bien falloir payer dans les années à venir?
Quel rapport entre l'art de peindre des chefs d'oeuvre ou de jouer dans un film d'Arthur Penn, et celui de foutre le bordel sur la planète entière?
Deux réponses possibles : "The Mackintosh Man" de John Huston (avec Paul Newman) et "Guernica" de Picasso.

vendredi 3 octobre 2008

La Fusion

La MANON de la Staatskapelle de Berlin arrive enfin en DVD. Production de luxe et vision cinématographique de deux amants maudits par leurs enfantillages.
Rôle de prédilection pour le ténor Villazon? Il faillit être prêtre, mais trop bouillant sans doute, trop impétueux pour rester à genoux et lever les yeux vers le Ciel. Rôle qu'il gravera ensuite de nouveau à Barcelone avec Natalie Dessay, dans la même fougue torturée qui reléverait presque d'une psychanalyse à laquelle Rolando ne s'est jamais dérobé.
Mais ici, à Berlin, il a dans ses bras une Netrebko qui n'a plus la candeur des Juliette qu'elle chanta justement avec lui sur d'autres scènes. La voilà Traviata Française, avec pour maladie le goût du luxe, des stars mythiques d'un Hollywood qui la fait rêver mais qu'elle ne connaîtra jamais.
La fusion des deux interprètes est unique, aussi bien charnelle que vocale. Ils sont à peu près du même age (35-36 ans, je crois) et ils ont l'alchimie, le feu sacré, le besoin de se donner, dans des décors et une mise en scène de rêve. Les voir dans le duo de Saint-Sulpice tient du miracle : elle, en robe rouge, essayant de le retenir par sa soutane, c'est le Péché face à la Croix, et quand il succombe, ce n'est pas de joie, c'est de désespoir car il sait déjà que tout est perdu : son visage torturé dans l'amour n'a jamais exprimé autant de doute, autant de renoncement et autant de fatalité. Et dans l'hôtel de Transylvanie (avec un nom pareil on pourrait presque croire que seul l'Orient Express peut vous y mener alors que ce lieu de jeux interdits existait bien à Paris, quai Malaquais) lorsqu'il chantera "Manon, sphynx étonnant" c'est la stupéfaction devant sa propre dépendance qu'il exprimera, tandis que la frivole se donnera en spectacle en proclamant "A nous les amours et les roses, qui sait si nous vivrons demain?".
Oui, parce que DEMAIN n'existe pas, n'a jamais existé, c'est un leurre. La phrase que prononce Manon est terrible : "Qui sait si nous VIVRONS demain". Presque inconsciemment, devant ce public qui admire sa beauté, elle sait que ses jours sont comptés, alors pourquoi ne pas les vivre en sacrifiant l'avenir? Au début elle devait entrer au couvent et la voilà maintenant poussant son amant à jouer aux cartes dans un tripot clandestin. Montesquieu parlait de l'histoire d'un "fripon" et d'une "catin". C'est un peu vrai, mais avec Massenet et les mises en scène modernes, on parierait plutôt sur l'histoire d'un "paumé" et d'une "jouisseuse".

jeudi 2 octobre 2008

Danielle et Laurent (11 et fin)

Les rapports de Laurent et de Danielle s'avérèrent très vite extrémement ambigus. Danielle n'aimait pas suffisamment Laurent pour se laisser embobiner. Comme la plupart des gens du Sud, il avait tendance à exagérer. Mais elle ne considérait pas celà comme un défaut. Elle aussi, de temps en temps, se mettait à broder, mais elle puisait ses sources dans son imagination, et non pas dans la réalité. Laurent, pour sa part, prenait la réalité brute, et la dramatisait. Il lui expliqua son incroyable nervosité. Pendant des années son boulot l'avait angoissé à mort. L'illusion de ne pas être à la hauteur, la hantise de se faire larguer, mais surtout l'orgueil, l'orgueil absolu, celui qui vous isole non seulement de vos collègues, mais aussi du monde entier. Il paniquait en se croyant chargé d'une mission, la mission céleste de sauver l'entreprise. Devenir le Messie redescendu sur terre, il se voulait incorruptible et inoubliable. Il se fit surtout détester, et dans l'incroyable innocence qui le forçait à se croire indispensable, il brûla toutes ses cartouches. Sa vie ne tint qu'à un fil, sa santé se déglingua en un rien de printemps. D'ulcère en ulcère, de hurlement en hurlement à se rouler par terre en maudissant sa foi et son intransigeance. Ne pouvant plus parler, ne pouvant plus crier, il devint sourd et tristement paumé. Solitaire comme jamais, recroquevillé par terre, la bouche ouverte sans émettre un seul son, il fut forcé de céder aux tentations opératoires et se retrouva amputé d'une corde vocale.

Danielle l'écoutait, perdue dans ses pensées. Elle se disait "Chacun porte sa croix, et la croix est obscène" mais elle ne partageait pas sa souffrance, elle l'admettait mais elle n'en vivait pas. Elle prenait un air détaché, compréhensif mais dénué d'émotion. Il parlait pour lui-même, dans le vide émotionnel de ses souffrances passées, physiques et morales. Il racontait un pan de mur de sa vie, une affiche collée à jamais sur son coeur. Il se savait diminué mais il luttait, corps à corps solitaire, avec son revolver dans sa poche de veste, pour se donner une raison de détester quelqu'un. Par amitié, elle se blottit contre lui, la tête un peu penchée, et le seconda comme elle put, lâchement. Elle pouvait se donner sans en perdre la tête, restant distante, attentionnée, attentive et consciente. Tout au fond de lui-même il la sut étrangère, elle ne disait pas les mots qu'il attendait, il en pâtit mais il ne s'avoua pas vaincu. Il pourrait peut-être la reconquérir à jamais, la retaper, en faire son idole. Elle se garda bien de le décourager. Presque seule, dans cette ville étrangère, elle ne pouvait pas s'offrir le luxe d'une nouvelle conquète. Le temps pressait, elle se devait de le garder.