Quand, hier soir (18h) je suis arrivé chez Jeannot, 50 rue Régence, j'ai éprouvé la même gêne, la même appréhension, que j'avais ressentie lundi soir, lorsque je l'avais fait monter chez moi.
Appréhension - ou incompréhension? D'abord son rire, à la limite de l'auto-dérision, qui avait résonné chez moi, me mettant mal à l'aise, et puis sa saleté - à la limite de l'arrogance. Son souci de paraître sale : pull plein de taches, pantalon déchiré, chaussures dégueulasses. Sur le parking de la Forêt, où je l'avais rencontré, cela m'était égal. C'était son problème si son insolence, sa façon d'interpeller les gens, de leur gueuler après lorsqu'ils restaient le cul dans leur voiture, le mettait en quelque sorte au banc d'une certaine tolérance de l'insociabilité. Cette première fois, à l'extérieur, celà m'avait amusé, m'avait distrait et, pendant une heure, j'avais accepté avec un petit frisson son besoin de me prendre à témoin pour épancher tout le ressentiment qu'il éprouvait envers les gens en général (vieux cons, jeunes cons, tas de merde, etc.) et les refoulés en particulier. Mais une fois chez moi, j'avais eu un moment de malaise en l'entendant gueuler : et s'il se mettait à devenir violent, agressif?
Mais après deux portos il semblait plus calme, plus "sentimental".
Son signe de la Vierge ascendant Lion prenait sans doute le dessus pour exhiber un fond de tendresse lié à une profonde et irrépressible détresse. Ceci dit, sa saleté, son odeur ne m'encourageaient pas à le garder chez moi, même si ma chatte Maya s'était mise à ronronner en se frottant à ses godasses. Et puis, tout à coup, dans la lueur mourante du ciel, sa belle gueule d'Américain, cheveux drus et yeux bleus, se mettait à me fasciner, malgré sa crasse et son rire de démon. Mais je l'ai viré à 20h, sur un semblant d'encouragement, une étreinte rapide, une poignée de main presque désespérée. Je me suis couché, après son départ, sans parvenir à dissiper une certaine dose de malentendu, qui m'empéchait d'adhérer complétement à cette amitié que, malgré tout, je sentais nouvelle et équivoque. Mais que m'avait-il raconté, en deux heures de temps? Qu'il était devenu passif après avoir vécu avec une femme qui l'avait diminué, qu'il avait horreur des spectacles travestis, des boites de nuit, et de toutes les bondieuseries qui s'apitoient sur le sort des SDF, qu'il était capable de pleurer -qu'il le faisait souvent, qu'il aimait le hard-rock, les films d'épouvante, etc... J'ai oublié les détails résolument sexuels, étalés pour chercher à m'épater : un voyage à Brest avec un jeune mec, un autre à Dunkerque où un hétéro l'avait défoncé avec un sexe comme il n'en avait jamais vu de sa vie (?). Ce qui m'avait le plus intrigué, à la Forêt, c'était qu'il connaissait beaucoup de monde. Certains le saluaient, d'autres non -ce qui le faisait enrager et gueuler de plus belle. Mais surtout que ceux qui venaient lui parler étaient tous des jeunes et paraissaient vachement sympas. J'en étais resté bouche bée.
Chez moi, c'était surtout la tristesse de ses yeux bleus, comme noyés dans la mer.
Mais ce dimanche, en entrant chez lui, je retrouvais ce satané malaise, qui me tenaillait le ventre : d'abord le son, la sono impossible, qui envahissait tout, une gueulante incroyable, et lui, sa guitare électrique à la main, qui ne me voyait pas, moi figé en haut de l'escalier devant sa porte grande ouverte. Et puis le désordre, comme dans "Trash" de Morrissey, fringues partout, vaisselle entassée, un tohu-bohu de pièces détachées, d'ustensiles, de vêtements. Pas vraiment de saleté, mais un fourre-tout incohérent. Et lui, un peu plus propre quand même, mais avec un jean troué, et j'ai aussitôt remarqué qu'il n'arrêtait pas de se tripoter la braguette, avec une complaisance manifeste qui ne m'a pas vraiment excité. Non, ce qui m'énervait, c'était ce bruit infernal, ce rock tonitruant.
Il voulait que je reste, mais je ne voulais pas. Je lui ai dit que j'avais rdv à 20h. Il était 19h30. Il ne voulait pas rester seul. Il se faisait chier, tout seul, il n'avait pas le moral. Il a d'abord téléphoné à son beau-frère, chez qui il était allé bouffer la veille, mais manifestement le beau-frère ne voulait pas le revoir de si tôt. Alors il a téléphoné à un mec, qu'il avait vu ce midi, un certain Robert. D'après la conversation, ça se présentait plutôt mieux : le Robert était prêt à le recevoir chez lui. Le punch que je sirotais, en écoutant, me faisait du bien, me rassurait. Et puis, lorsque Jeannot a parlé de sadomasochisme à son interlocuteur, j'ai su qu'il s'agissait du Robert que je connaissais, et j'ai pris l'appareil pour lui parler. Mes neurones se sont mis à fonctionner avec beaucoup plus de satisfaction. Territoire connu : Robert, le footballeur, tête de dogue et cuisses en acier, superbe étalon au coeur de midinette terrassé par les coups de foudre répétitifs... J'ai fait du chantage à Jeannot : oublié mon rdv bidon, je voulais aller avec lui chez Robert. Pour ça, il me conduirait d'abord chez moi, où je prendrais deux DVD de cul pour que Robert puisse les repiquer, et ensuite on irait là-bas. Il s'en foutait, il était d'accord, du moment qu'il avait de la compagnie je pouvais même emmener ma chatte Maya!
On est parti, on a pris son chien qui le suit partout (Bézot, un croisé caniche-doberman -enfin je crois), on n'a pas pris Maya (non, non, elle n'avait pas envie) et on a retrouvé un Robert diminué physiquement, en arrêt de travail jusqu'à fin avril, renversé en vélo par une voiture, presque cloué sur sa chaise, côtes cassées, etc... Et aigri. Un peu plus que d'habitude. Mais je ne savais pas qu'ils se connaissaient depuis dix ans. On a regardé un DVD, j'ai pris des photos, j'étais mieux, un peu rassuré, mais Jeannot me regardait en coin, me surveillait, se méfiant sans doute, soupesant le pour et le contre, se demandant ce qu'il allait faire de moi, ce que j'allais lui apporter...Avant de partir, chez lui, je lui avais dit qu'il était "anarchiste" et il m'avait répondu "Non, anticonformiste!".
Je ne sais pas, j'ai du mal à y voir clair. Il y a en lui une brutalité négative qui me fait peur, et une tendresse à fleur de peau qui m'émeut. Et je ne sais pas laquelle de ces deux tendances va l'emporter, et faire pencher la balance.
(à suivre)
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