Première Partie (suite) : Suzy
La perspective des vacances avec Joelle se rapprochait, et Suzy ne savait pas très bien comment faire. Elle n'était pas du genre à paniquer, comme son amie, mais elle ne voulait pas lâchement se désister. Son métier de serveuse lui avait appris à tenir la distance. Lorsque Marc se présenta à elle et lui demanda "un parfum très cher" pour sa femme, elle crut à une blague. Il n'était pas très grand, il était maigre, les cheveux déjà blancs, la cinquantaine, des mains sveltes, et quelques bijoux rares, mais précieux. Très rapidement, du fait même de son expérience de vendeuse attitrée, elle sut qu'il l'avait repérée. Sans hésiter, elle ne lui proposa pas divers échantillons, mais elle lui présenta un parfum qui n'était pas des plus onéreux mais qui avait l'avantage de se réfléchir dans une boule hypersophistiquée. Il l'accepta sans faire de remarques. Il souriait, d'une façon à la fois bienveillante et cynique, et il lui proposa de dîner le soir-même avec lui. Elle refusa avec une rapidité qui le séduit. Il n'eut pas la grossiéreté de lui donner sa carte et elle apprécia qu'il n'insista pas. Elle savait qu'elle le reverrait très vite.
Suzy n'était pas sentimentale, mais après l'échec de Juju, elle pensa qu'elle devait se montrer plus compréhensible. Elle appréhendait plus facilement les défauts des hommes que leurs qualités, ce qui la mettait souvent en position de mésalliance. Lorsque Juju réapparut, avec des fleurs et un sourire navré, elle sut qu'il venait de rompre avec la personne qui lui apportait le plus de commodités. Fugacement, elle pensa qu'elle se retrouvait n°1 dans la liste de ses conquêtes, mais elle n'en tira aucune satisfaction. "Non, je ne suis pas comme ça". Avant même qu'il ne commençât à se trémousser et à chercher le prétexte convenable pour son retour en grâce, elle lui fit comprendre qu'elle avait renouvelé sa garde-robe et qu'elle ne tenait pas à remettre des vêtements qui ne convenaient plus à son état d'esprit. Elle lui rendit ses fleurs et ne le remercia pas de lui avoir tenu quelque temps compagnie.
Quand Marc lui téléphona, elle pensa qu'il avait fait un enquête auprès de la Direction pour obtenir ses coordonnées, et celà la mit en colère. Mais très vite, le sentiment de vide qui l'avait envahie après le départ de Juju, la contraignit à reculer dans son indignation. Même si le physique de Marc ne l'attirait pas outre mesure, il pouvait lui permettre de sortir de cette routine qui commençait à s'insinuer dans sa vie et qu'elle considérait comme la pire des anomalies.
Elle accepta de dîner avec lui.
Elle ne prit pas d'apéritif.
Elle vit très vite qu'il avait du mal à ne pas parler de lui. Elle savait que le moment viendrait où elle devrait l'encourager, mais elle préférait cet instant où l'on peut encore envisager toutes les possibilités avant que le couperet ne retombe, libérant les sujets habituels : travail pénible, rémunérations complémentaires, enfants cachés et femmes dissimulées à l'arrière d'un 4x4... Elle allait provoquer la phrase fatidique "Je vous en prie, Marc, je suis impatiente de vous connaître mieux!" en mettant gentiment sa main sur sa main étalée sur la table, lorsqu'un grand blond s'interposa. Il s'appelait Guy et il prétendait de ne pas avoir vu Marc depuis de longues années. Il insista pour avoir la permission de partager leur table. Marc sembla hésiter mais Suzy, intriguée, accepta. Marc céda et l'homme s'installa. Il parla avec assurance, regardant tantôt l'un, tantôt l'autre. Il n'avait pas besoin de faire étalage de sa richesse, sa prestation y suffisait. Il avait pris un soin méticuleux à choisir une monture de lunettes dont la finesse extrème ne faisait qu'accentuer le bleu glacial de son iris. La petite chaîne qu'il portait autour du cou et la bague aux contours ciselés qui ornait l'un de ses doigts manucuré confirmaient son allure à la fois distinguée et maniaque.
Il parla d'une île qu'il venait d'acheter quelque part dans un océan, et du peu de temps qu'il pouvait consacrer à une vie normale, ce qui justifiait à ses yeux son manque d'assiduité envers les nombreux amis qu'il avait dans le monde.
La nuit était tombée depuis longtemps, Marc avait cessé de parler et dormait bruyamment. Suzy ne dormait pas. Elle avait bien voulu aller chez lui et lui céder, et maintenant elle essayait d'imaginer ce qui se serait passé si elle avait accepté l'invitation de Guy de venir le rejoindre à l'hôtel. Elle avait cru comprendre qu'il achetait des maisons et qu'il en revendait d'autres, jusqu'à cette île perdue dans l'océan. Elle le supposait entretenir son corps avec tous les moyens que l'argent peut vous procurer sans avoir besoin de s'occuper assidûment du relevé de ses comptes bancaires. Elle se leva pour aller aux toilettes et elle fut stupéfaite du nombre de glaces grand format qui tapissaient les pièces et les couloirs de l'appartement. Il y en avait même une dans les chiottes. Au moment de s'asseoir sur la lunette elle paniqua d'une façon intense : y en avait-il une au plafond de la chambre à coucher? Elle n'avait rien remarqué en entrant, vaguement perturbée par la similitude des deux hommes dans leur comportement élitiste, et la façon dont ils auraient pu se passer le relais pour la conduire dans leur plumard. A cette seule différence que Marc ne lui paraissait plus beau du tout.
Au pétit déjeuner, elle le trouva carrément moche.
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