Nous formions toute une bande de copains et de copines, il y avait Claude, Bernard et la Dougoue. Il y avait Christelle et son bar Le Bienvenu, et c'est vraiment là que nous nous sommes éclatés. Bernard débarquait avec sa nouvelle conquête, et nous allions piqueniquer s'il faisait beau, ou on s'enfermait chez l'un ou chez l'autre pour picoler et bouffer n'importe quoi. Et puis comme Bernard finissait toujours par s'engueuler avec sa conquête, pour une histoire de vaisselle sale ou de ménage disjoncté, nous allions chez la Dougoue voir quel marlou enflammait sa perruque et nous bouffions des chips en buvant de drôles d'apéritifs avant de terminer la soirée au Bienvenu, en se réjouissant d'avance d'une quelconque bagarre.
Christelle adorait recevoir des pédés et des gouines, elle en avait fait son menu ordinaire, mais quelquefois des clients entêtés refusaient le spectacle de ces embrassades particulières. Il s'ensuivait de violents coups de gueule où Christelle refusait de céder. Nous étions tous témoins et partenaires. C'était l'occasion rêvée de se faire traiter d'enculés par de petites frappes de quartier, et nous ne voulions pas rater ça. Maintenant que j'y pense, je crois que c'était vraiment le bon temps, mais nous étions jeunes à l'époque. Nous n'avions pas 30 ans. Et voilà pourquoi aujourd'hui tout me semble idéal. Oui, aujourd'hui, ce n'est pas la même chose. D'accord. Je suis entièrement d'accord. Pas de problème, mais je ne veux pas me lamenter comme toutes ces vieilles connes qui disent "Mon Dieu, ce n'est plus comme avant, vous vous rendez compte! Autrefois, nous nous amusions bien mieux que maintenant. Maintenant, il y a tous ces jeunes qui foutent le bordel. Ils ne croient plus en rien!". Non, non, ce n'est pas vrai! Autrefois, nous étions jeunes, et point final. Quand on est jeune, on accepte tout, les nuits blanches et les amours sans lendemains. On accepte la dèche et le fric facile, mais après on s'abêtit, et on se lamente sur le temps qui passe et qui nous fout la gueule à l'envers. Mais on n'accepte pas d'avoir vieilli, alors on s'en prend aux autres, à tous les autres, et surtout aux jeunes. On dit que c'est de leur faute si le monde se fout en l'air, parce qu'ils n'ont plus la foi en rien. Parce que nous, à 15 ans, on avait la foi...Mon oeil! On avait la foi à tirer son coup, c'est sûr, mais certainement pas à combattre la pauvreté ou la dureté de la vie. Ou alors, foutrement, on était le Messie, celui qui ressucite à chaque décennie. Celui qui s'y croit et qui emmerde tout le monde, celui qui veut redresser les damnés de la terre et leur apprendre la providence, la sainte renaissance des coeurs mal-aimés, des oiseaux pourchassés, et des bébés phoques persécutés.
Aujourd'hui, je me souviens de ma jeunesse, je veux dire de mon adolescence, ou encore de ces premières personnes qui m'ont pris dans leurs bras, mais je ne veux pas me ressasser de ces mémorables fornications parce que ce n'est pas vrai que tout est foutu dans le monde, que mon corps et mon âme pourriront après ma mort, même si ça reste pensable. Je veux me souvenir de mes amours passés, je veux que les siècles entiers se souviennent que le bonheur arrive à tout âge, et qu'il n'est pas bon de se lamenter sur le paradis perdu des illusions de sa jeunesse. Je ne veux pas faire écho à ces remarquables prophètes qui tuent l'espoir en enfantant la lamentation des illusoires désillusions. Je refuse l'atavisme des fatalités. Je n'ai pas fait un pacte avec le roi des esprits ou la reine des coches qui fomentent l'actualité au regard des multiples reality-show de la médiatique télévision de mon coeur. Je ne suis pas de tous ces esprits malveillants qui flanchent au premier coup de pétard. Je me construis peu à peu, au fil des années, mon univers de devenir au sein de l'actualité régionale de mes états d'âme. Le fil conducteur de chaque existence subit une direction implacable. La femme-reine sera reine un jour, et l'enfant-dictateur devra bien, au cours de sa vie, assassiner ses meilleurs amis pour parvenir au trône de son irréfutable folie. La répétition de nos agonies -désillusion de nos connaissances- nous oblige à réfléchir sur le sens de nos vies, pauvres petits papillons qui clignotent au regard du monde. Et nous, grandes puissances irréfléchies, nous brassons des milliards de vies passées comme on joue aux fléchettes. Pauvres humains qui croient en leurs dieux infinis parce que l'orgueil est plus fort que la mort qui nous bouffe les ailes.
lundi 17 novembre 2008
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